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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cela va se passer de la sorte ne m’ont jamais regardé dans les yeux[1]. »

C’est ainsi que le public apprit pour la première fois le détail de la collusion entre l’État-Major et le bandit, l’entrevue de Montsouris avec sa mise en scène de carnaval, les lettres à Félix Faure, la pression sur les enquêteurs et sur les experts, et l’intimité, « depuis vingt ans », d’Esterhazy et d’Henry[2].

Que l’espion, enfin débusqué, eût usé de tous les moyens pour sauver sa peau, rien de plus simple, et c’était dans l’ordre, aussi, qu’il ne confessât pas d’abord son propre crime. Mais que ce complot contre la justice, qu’une telle entreprise pour sauver un traître, pour tromper le pays et l’armée, ce fût l’œuvre de l’État-Major général, les plus passionnés défenseurs de Dreyfus en ressentirent une amère tristesse. La lettre de Zola paraissait décolorée auprès des révélations du misérable.

Les généraux ne risquèrent aucun démenti ; Gohier, poursuivi devant les assises pour injures à l’armée, en fut acquitté du coup[3].

Drumont essaya d’expliquer le cas d’Esterhazy, « l’un de ces soldats qui sont meilleurs en temps de guerre qu’en temps de paix ». L’homme, homo duplex, avait traité d’abord avec le Syndicat pour se reconnaître l’auteur du bordereau ; il se dégagea ensuite, « par un réveil de conscience, un instinct retrouvé des vieilles

    résolutions. Je pense qu’on se propose de me lanterner. C’est une grave erreur. J’ai prévenu, prévenu et reprévenu. Tant pis. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, si je ne traite pas, je vais faire mon boniment sensationnel d’ici huit jours. Et, après, ils ramasseront leurs morts. »

  1. 1er mars 1899.
  2. Note complémentaire d’Esterhazy dans le Daily Chronicle.
  3. 14 mars. — Voir t. IV, 425.