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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Sur quoi, Brogniart : « Mon général, n’a-t-on jamais fait l’hypothèse que le bordereau sur papier calque pouvait être la copie d’un bordereau original ? »

Comme on s’en souvient, la lettre « ouverte » à Mercier paraissait, ce même matin, dans le Gaulois. Les journaux de Paris n’arrivant à Rennes que l’après-dîner, rien que l’heure où les juges ont posé leurs questions[1] fait voir que l’auteur de la lettre n’avait rien à leur apprendre.

Mercier peut détruire d’un mot le système des deux bordereaux : « L’hypothèse est stupide, outrageante pour moi qui aurais, en 1894, fait usage d’un faux. » Si, au contraire, son dessein est de suggérer que c’est bien le secret de l’Affaire, il ne confirmera pas, ne démentira pas, donnera seulement à entendre que la vérité officielle et diplomatique n’est pas la vraie[2].

Mercier, en conséquence, répond à Brogniart : « J’ai vu cette hypothèse dans les journaux ; mais elle n’a jamais été faite à ce moment-là au ministère de la Guerre. » — C’est-à-dire qu’elle a pu y être faite depuis 1894 et qu’elle n’a rien d’impossible. — « Nous avons toujours admis que le document sur papier pelure était bien le document original du bordereau. » C’est-à-dire que le bordereau sur papier pelure pourrait ne pas être le document original, qu’on a seulement admis qu’il l’était.

Ainsi Mercier dit tout ce qu’il peut dire ; si Dreyfus, à son banc, ne réclame pas, c’est que nul n’a plus grand intérêt à laisser le débat sur le bordereau d’Esterhazy ; et tout à l’heure va arriver la lettre « ouverte » à Mer-

  1. Rennes, I, 147 : « L’audience est reprise à 7 h. 30. »
  2. Jaurès, discours du 7 avril 1903 ; Allier, loc. cit. Mathieu Dreyfus, Souvenirs. »