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RENNES


science inintelligible aux profanes, se croient des êtres supérieurs, et qui raisonnent des réalités comme sur les imaginaires, — l’étonnant serait qu’ils se permissent de rire de Bertillon, alors que les juges de 1894, cavaliers et fantassins, se flattent de l’avoir compris[1] et que les grands chefs sont unanimes à l’admirer.

Dreyfus lui-même aurait dit un jour du système de Bertillon que « c’était ingénieux » ; seulement, « le point de départ de la démonstration est faux[2] ».

La vérité, c’est que tout ce qui n’y est pas imbécile est faux, les photographies retouchées, les mensurations de lettres, les superpositions de mots, le calcul des probabilités (pour justifier que les prétendues coïncidences ne sont pas le fait du hasard), ainsi que cela fut aussitôt démontré par le dessinateur Paraf-Javal, l’ingénieur des mines Bernard et deux membres de l’Institut, le général Sebert et « le plus illustre des mathématiciens contemporains », Henri Poincaré, qui s’humilièrent, humilièrent la science à discuter sérieusement ces basses tricheries[3].

L’homme, dans le commerce ordinaire, étant probe, désintéressé, on cherche le mobile d’un si horrible acharnement : aucun autre qu’un monstrueux amour-propre d’inventeur. Coûte que coûte, il faut qu’il ait raison du juif, des journalistes qui l’ont livré à la risée publique. Il n’y a donc pas seulement de la folie chez lui, comme on pourrait croire à son œil hagard, ses gestes de maniaque ou de pantin enragé, sa voix rauque, telle qu’on en entend sortir des cabanons ; il est, comme Quesnay, de ces demi-fous chez qui ce qui reste de lu-

  1. Rennes, II, 192, Maurel ; Cass., II, 7, Freystætter.
  2. Clemenceau, dans l’Aurore du 26 août 1899.
  3. Rennes, II, 404, Paraf-Javal ; 436, Bernard ; III, 180, Sebert ; 329, lettre de Poincaré à Painlevé.