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RENNES


c’eût été jouer un rôle, descendre des purs sommets où le malheur l’avait portée.

J’ai interrogé de nombreux spectateurs de cette suprême journée de Rennes : il n’y avait plus un revisionniste qui n’eût perdu le sens de la réalité. C’était une journée très douce de fin d’été ; les plus sceptiques (après la plaidoirie de Demange, l’émotion visible des juges, la note allemande communiquée par Paléologue) se roidissaient contre l’évidence, « espéraient des choses folles », l’abandon de l’accusation à la dernière minute[1]. La recondamnation, comme la mort d’un être cher, paraissait impossible.

Picquart, depuis l’avant-veille, avait quitté Rennes, avec Gast[2], sur un avis du préfet qui le tenait pour particulièrement exposé, craignait des troubles et avait pris de grandes précautions, fait venir des renforts de cavalerie et de police. Toute la garnison était sur pied, la ville comme en état de siège, parcourue de patrouilles.

Et partout, jusqu’aux plus lointains confins du monde, tout ce qui faisait partie de la conscience humaine était oppressé de la même fièvre d’espérance et d’attente. Pas un roi ou un empereur qui n’eût prescrit qu’on l’informât sur l’heure du verdict, comme d’une défaite ou d’une victoire de la France. La Reine d’Angleterre avait envoyé à Rennes son « lord chief-Justice », le vénérable Russell de Killowen. À Rome, la vieille servante de l’abbé Duchesne faisait brûler un cierge pour Dreyfus.

Le conseil rentra en séance à trois heures.

  1. Séverine, 457. — « Labori, très entouré, répète : « Ayons confiance. Une condamnation est impossible. » (Matin du 10 septembre 1899.) — De même Jaurès, Viviani.
  2. 7 septembre.
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