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CHAMBRES RÉUNIES


faire une autre. S’il l’avait réellement égarée, il s’en serait aperçu dès le retour du bateau chargé de chercher les vivres à Cayenne[1]. — Et toujours la même ignorance de ce qui se passait en France ; l’administration ne lui laissa tenir ni les journaux, ni le compte rendu du procès de Zola, ni les volumes où Clemenceau, Jaurès et moi nous avions réuni nos articles ; même les lettres de sa femme subirent d’étranges retards[2]. Son corps brûlé de fièvres, réduit à rien, à peine la peau sur les os, et son cerveau si terriblement secoué, achevèrent de s’épuiser « dans cette attente angoissante et affolante ». Il n’était plus, depuis longtemps, que le spectre de lui-même, pourtant plus soldat que jamais. Si peu instruit, il bâtissait un roman où Boisdeffre demeurait l’artisan principal de la revision. En mars, il nota quelques réflexions, qu’il intitula, par une rencontre avec Duclaux : Propos d’un solitaire.

À Paris, l’autre prisonnier, dans cette détention de près d’un an, très pénible, bien que moins tragique, continuait, lui aussi, à faire preuve d’un beau et simple courage, mais, lui aussi, trouvait le temps long, malgré les amis qui lui rendaient visite et la lecture de l’enquête qui le justifiait avec tant d’éclat[3]. La

  1. Cinq Années, 314.
  2. Une lettre du 30 janvier ne lui fut remise que dans la dernière semaine de mars.
  3. Picquart écrivit à Freycinet, le 19 avril, que l’enquête l’avait confirmé dans ce qu’il savait déjà des machinations qui avaient été ourdies contre lui ; il le priait, en conséquence, de rechercher les responsabilités engagées dans les divers incidents de l’affaire. — Le mois suivant, il adressa à la Chambre des mises en accusation un mémoire pour réclamer un supplément d’enquête sur le petit bleu, falsifié après son départ du ministère (15 mai) ; il demanda ensuite sa mise en liberté provisoire, et plusieurs meetings furent tenus pour la réclamer. Buisson, Havet, Pressensé, Sébastien Faure y prirent la parole.
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