Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/63

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CHAMBRES RÉUNIES


d’adhérents. (Encore une fois, des hommes qui eussent dû parler depuis longtemps, qui se le devaient à eux-mêmes et à leur talent, Vogüé, d’Haussonville, Vandal, continuèrent à se taire.) Les fanatiques et les politiques, comme irrités des services qu’on voulait leur rendre, ripostèrent par des injures. Ces braves gens ne s’y arrêtèrent pas, ni Hervé de Kérohant qui dépensa dans des articles quotidiens ce qui lui restait de vie ; ni cet ancien procureur général bonapartiste, le vieux Froissard, qui avait repris, à lui seul, pièces en mains, l’immense enquête, et, « vaincu, terrassé par l’évidence », se déclarait « aussi sûr de l’innocence de Dreyfus que de son propre honneur » ; ni l’abbé Brugerette ou l’abbé Frémont, si malheureux de voir « anéantir la croix de Jésus » dans cette grande bataille d’idées, la plus palpitante qui ait agité la conscience mondiale[1]. Ils osèrent protester « que l’idée anti-chrétienne, c’était l’idée anti-dreyfusiste », et ils s’appliquaient la parole de la Bible : « Dieu dit à Ézéchiel : Sonne du cor, Ézéchiel ! Et si ton peuple ne veut pas t’écouter, toi, du moins, tu auras sauvé ton âme !… »

Près de la moitié de la France n’entendait pas encore, mais l’Europe, le monde admiraient cette grande chose française. Un de ces rudes bateliers de la Bessarabie, moitié anthropoïde, moitié buffle, dit au docteur Robin, dès qu’il sut que c’était un Français : « Ah ! vous êtes du pays où l’on ne veut pas qu’il y ait d’injustice ! »

  1. Abbé H. de Saint-Poli, loc. cit., 7, 13, 23, etc. — Cf. Léon Chaîne, les Catholiques français et leurs difficultés actuelles, 7 ; lettre d’un ancien procureur général dans l’Autorité du 5 décembre 1903 ; Quincampoix, la Voix d’un catholique ; Pichot et Jorrand, la Question chrétienne et la Question juive.