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CHAMBRES RÉUNIES


dit-il à la fin de son mémoire, lui a été ravi par une erreur de ses frères d’armes ; c’est à ses frères d’armes qu’il appartient de le lui rendre ; c’est devant eux qu’il entend et veut comparaître. »

Les plus sceptiques nageaient alors dans la confiance, se refusaient à admettre qu’un conseil de guerre pût condamner, une seconde fois, un officier si manifestement innocent ; ces soldats seraient heureux d’acquitter leur infortuné camarade, de laver l’armée de son affreuse erreur, de terminer le drame en beauté. Encore une fois, les mots voilèrent les choses. On ne s’arrêta même pas à cet avertissement que cette rhétorique enchantait les adversaires de la revision, résignés à présent à la voir proclamer par les Chambres réunies, mais escomptant déjà leur revanche devant le tribunal militaire.

Quand la formule de la loi n’est pas claire, le juge « cherche » la pensée du législateur, qui n’en a pas toujours eu de précise, et s’efforce de ne pas lui en prêter qui soit absurde ou fâcheuse. Le texte de la loi étant controversable, puisqu’il était controversé par des jurisconsultes d’un tel savoir, la question, qu’on le

    IV, 82.) — Manau comprend Esterhazy parmi les parties, mais, par un raisonnement assez singulier, il exclut la possibilité d’une cassation sans renvoi parce qu’Esterhazy a été acquitté : « Il faudrait, pour citer un exemple approprié à la cause, qu’Esterhazy eût été condamné par contumace, et que, son absence persistant, il ne pût être jugé contradictoirement avec Dreyfus par le nouveau conseil de guerre. » (242.) Dans la péroraison de son réquisitoire, Manau se prononce à nouveau pour la cassation avec renvoi : « Vous n’avez pas qualité pour prononcer définitivement. Dreyfus le sait… etc. » (320.) — Un arrêt postérieur des Chambres réunies (du 15 mars 1900) attribue nettement la qualité de parties au faux témoin dont la déposition a entraîné la condamnation d’un innocent. La Cour casse sans renvoi, « l’ouverture de nouveaux débats n’étant plus possible, soit sur le faux témoignage avoué par la fille Lucas, soit sur le vol dont a été inculpée la femme Dellegny. » (Appleton, 9.)