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CHAMBRES RÉUNIES


et se retira dans son petit hôtel discret de la rue de la Faisanderie, où les grands chefs militaires, Jamont en tête, lui portèrent leurs compliments et leurs vœux. Il leur tint les propos les plus fâcheux, sans d’ailleurs en croire un mot, sur le « Syndicat[1] ».

Il ne pouvait vivre que dans la politique et ne sortit jamais des affaires qu’avec la volonté plus tenace d’y rentrer. Son jeu était si peu compliqué, si évident, qu’on le dénonça tout de suite : se dérober aux responsabilités, laisser entendre qu’il ne voulait pas plus que Zurlinden ou Chanoine s’associer à la réhabilitation d’un traître, désarmer Drumont, se retremper dans le silence, s’assurer ainsi le concours des nationalistes et de la Droite pour le mois de janvier, où son mandat sénatorial expirait. Et le plus beau fut que ce calcul réussit ; les catholiques, dont il avait fermé autrefois les couvents, les monarchistes, dont il avait exilé les princes, et les radicaux, qui ne pouvaient pas se passer longtemps de lui, s’entendront pour le renommer, pendant que Ranc restera sur le carreau. Pourtant Ranc n’eût pas donné sa conscience pour la sienne.

L’une des grandes qualités, presque une vertu, de Dupuy, c’était de ne jamais perdre la tête et de se décider très vite. Le droit inattendu qui lui était venu de mépriser Freycinet, un certain sentiment épais du devoir républicain qui l’aurait empêché de choisir les heures difficiles pour déserter, lui firent tenir le coup. Il envoya Camille Krantz du ministère des Travaux publics à celui de la Guerre et le remplaça par l’un des sénateurs qui avaient voté contre la loi de dessaisissement, Monestier[2].

  1. Rennes, I, 106, Mercier ; II, 557, Freycinet. — Voir p. 333 et 441.
  2. 7 mai. — Krantz ordonna aussitôt la réouverture du cours de Georges Duruy ; la reprise eut lieu le 15, sans incident.