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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


hasard voulut que le journaliste autrichien à qui je m’adressai, Frischauer, fût précisément le frère de l’avocat qui devait plaider pour l’autre Mosetig, le complice de Przyborowski, dont l’arrestation avait si fort ému Mareschal et Rollin et que Cernuski avait transformé en conseiller aulique pour donner du poids à ses mensonges. Dès que l’avocat fut informé par son frère de la déposition de Cernuski, il en avertit le conseiller aulique qui fit paraître aussitôt dans les journaux un démenti : il n’avait jamais connu ni le serbe Adamovitch, à qui il aurait raconté que la Prusse entretenait en France quatre espions, dont Dreyfus, ni l’officier supérieur allemand de qui il aurait tenu ce récit ; bien plus, il n’avait connu les noms de Dreyfus et d’Esterhazy que par leurs procès[1].

La protestation du professeur Mosetig était si formelle, l’imposture si manifeste que l’idée d’introduire aussitôt une plainte en faux témoignage contre Cernuski ne parut pas d’abord déraisonnable. À la réflexion, de l’avis formel de Mornard, il n’y eut pas de doute qu’il fallait y renoncer. La déposition de Cernuski au huis-clos, la seule où il eût donné des noms, n’ayant pas été recueillie par les sténographes, il serait toujours loisible à l’ancien officier autrichien de contester les dires des plaignants ; dès lors, la condamnation en faux témoignage n’était rien moins que certaine ; un acquittement, même faute de preuves, serait vivement exploité contre Dreyfus. Ainsi l’on risquait de compromettre le sûr progrès qui, par la seule force du temps, devait s’opérer dans les esprits.

  1. Nouvelle Presse libre du 5 octobre 1899. — Je publiai la protestation du docteur Mosetig dans le Siècle et dans le Figaro du lendemain.