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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


se faire l’accusateur de son défenseur d’hier ? Il décida de s’effacer. Son frère, dont la santé est à peu près rétablie, peut s’occuper maintenant de son affaire ; Mathieu le conseillera de loin ; « Labori aura plus de ménagements pour un homme qui revient de l’île du Diable[1]. »

Labori semble avoir attendu toute la journée une lettre d’excuses ou de regrets. N’en recevant pas, il crut nécessaire « de préciser par écrit », dans une longue lettre à Mathieu, l’entretien qu’il avait eu avec lui dans la matinée, et d’y résumer tous ses griefs. — Il eût fallu « expliquer publiquement les causes de la grâce », « continuer, au lendemain de la sentence de Rennes, la lutte à outrance ». « Sous prétexte de défendre la République et d’épargner au pays une agitation qu’il se mettait bien tardivement à redouter, Mathieu était entré dans la voie des négociations » ; dès lors, « la cause n’avait cessé de reculer malgré l’hypocrite appui du gouvernement ». « Est-il possible encore de répondre à Waldeck-Rousseau comme il le mériterait ? » En tout cas, le devoir, c’est de le tenter ; « le silence est incompréhensible », c’est « une attitude injustifiable », une faute pour laquelle il n’y a point de pardon. À Rennes, par deux fois, Labori a voulu quitter le banc de la défense ; c’est Mathieu qui l’a conjuré d’y garder sa place. « Après la condamnation, le sort étant accompli », l’avocat n’a point pensé « qu’il fût convenable de risquer, en se retirant, de mettre l’opinion dans la confidence de ses divergences » avec les Dreyfus. Mathieu, maintenant, lui rend sa liberté. Labori, « au terme de tant d’efforts », en ressent une grande tristesse. Cependant, il attend de l’avenir « des épreuves plus cruelles encore », car « nul homme ne

  1. Souvenirs inédits de Mathieu Dreyfus.