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LE BORDEREAU ANNOTÉ

Ici encore, les revisionnistes se divisèrent. Au jugement des uns, Mathieu, quels que fussent les torts de Labori, n’aurait jamais dû oublier son dévouement aux temps difficiles et l’attentat de Rennes ; de tels liens ne se dénouent pas. Labori, selon les autres, avait cherché de parti pris à acculer les Dreyfus, par ses mauvais procédés, à une apparence d’ingratitude ; Picquart, qui tantôt le poussait, tantôt subissait son influence, manquait de bonté. Et d’autres enfin disaient qu’il n’y a pas de demi-dieux, pas de héros parfaits ; que la politique est une grande gâcheuse de cœurs et d’esprits ; que les martyrs décloués ne sont plus que des hommes comme les autres ; qu’on voudrait unir par l’amitié tous ceux qu’on admire, mais que la nature des choses et la diversité des caractères s’y opposent ; que de tels déchirements s’étaient produits de tout temps, dans tous les partis ; et que Picquart et Dreyfus n’en resteraient pas moins inséparables devant l’histoire, plus indulgente et, partant, plus juste.

II

Nous avons suivi pendant des années l’élargissement de l’affaire, son débordement jusqu’à ce qu’elle couvrît, occupât toute la politique. Depuis Rennes, de la grâce à l’amnistie, nous avons vu l’inondation s’arrêter, puis reculer, les eaux du Nil qui refluent. L’année qui commence le siècle trouve le flot rentré dans son lit, mais toute la terre pénétrée à une telle profondeur d’une telle humidité, couverte d’un limon si épais que de longtemps on n’a eu espérance d’une moisson plus riche