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LE BORDEREAU ANNOTÉ


dans une chambre où l’air devient étouffant, se précipite vers la fenêtre et, au risque de s’ensanglanter, enfonce la vitre pour appeler un peu d’air et de lumière[1] ».

On avait craint des manifestations hostiles à ses obsèques ; c’était mal connaître Paris où le respect de la mort survivra à toutes les religions. Des amis timides, des envoyés officieux du préfet de police, pressèrent sur Dreyfus pour qu’il n’y assistât pas ; il résista, céda, puis se ravisa, suivit tranquillement, sans provoquer un cri. Autre signe des temps : le gouvernement se fit représenter, parla par Chaumié, ministre de l’Instruction publique, rendit hommage non seulement à l’écrivain et à l’artiste, mais au citoyen. France, qui l’avait autrefois traité durement, en exprima le regret, incarna l’Affaire en lui, trouva cette belle et juste image : « Il fut un instant de la conscience humaine ».

Zola, qui n’avait point eu d’enfants de sa femme, en avait deux, un fils et une fille, d’une dame Rozerot qui avait été de son entourage domestique et pour qui il écrivit l’un de ses derniers romans, l’exubérant poème de Fécondité. Avec la simplicité très noble qu’elle apportait en toutes choses, Mme Zola tendit la main à l’autre veuve, s’intéressa aux enfants, demanda pour eux l’autorisation de substituer à leur nom celui de Zola, parce que c’eût été le désir de son mari. Il lui avait été infidèle moins par lassitude ou par désaffection que pour se donner la joie de créer enfin de la vie.

  1. Procès Zola, I, 181. — Voir t. III, 406.