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LE BORDEREAU ANNOTÉ


de l’arrêt, l’octroi de circonstances atténuantes, la demande qu’une deuxième parade de dégradation fût épargnée au condamné, montraient qu’ils avaient hésité jusque dans la salle du conseil[1].

Première question à élucider : quels sont les deux juges qui se sont prononcés pour l’acquittement ?

On n’était certain que du commandant de Bréon. Il s’était montré constamment bienveillant ; on savait sa haute conscience, sa grande intimité de cœur avec son frère, l’abbé de Bréon, qui ne se cachait pas de ses sentiments. Pour le deuxième vote, on l’attribuait au capitaine Beauvais ; il avait paru connaître le dossier ; avant la lecture du jugement, il s’était approché de Demange, la figure bouleversée, les yeux pleins de larmes, et il lui avait serré chaudement la main.

Mathieu avait quelques amis à Rennes, qui fréquentaient avec les officiers. Il les pria d’écouter leurs propos, s’ils parlaient du procès, de les provoquer au besoin. Il leur donna ce thème : « Le dossier était vide, l’arrêt est contradictoire ; comment expliquer la condamnation ? »

Les premières réponses furent décourageantes : « Les membres du conseil de guerre se taisent, déclinent toute conversation ; Bréon, tout catholique qu’il soit, a été mis en quarantaine. »

Mathieu insiste ; ce silence, comme tous les silences, n’aura qu’un temps.

Un peu plus tard, en effet, quelques officiers, liés avec les juges, laissèrent échapper qu’il n’y avait pas grand’chose dans le dossier officiel ; « mais le dossier n’était pas toute l’accusation ; Dreyfus était certainement coupable. » Puis, tout à coup, Beauvais, dans une conver-

  1. Souvenirs inédits de Mathieu Dreyfus.