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LE BORDEREAU ANNOTÉ


quête et la conversation du docteur Dumas avec Merle, mais sans l’autoriser à en parler à d’autres. Il eût voulu continuer, quelque temps encore, ses recherches. Leblois, rencontrant un jour Jaurès, à qui Mathieu avait dit déjà quelque chose, ne put se tenir et lui raconta tout.

Jaurès, qui ne s’était éloigné de l’Affaire que pour laisser au sol en jachère le temps de reconstituer sa sève, s’offrit aussitôt pour porter la question devant la Chambre. Il y avait été accueilli avec de grandes sympathies qu’il avait accrues par l’éclat de son talent à l’apogée, son étroite collaboration, qui n’affectait pas encore d’être dominatrice, avec la majorité de gauche, la cordialité de ses relations, une constante belle humeur, toute une joie de vivre, de s’épanouir dans la vie et dans la gloire, qui débordait de lui. Il s’appliquait alors à plaire et à rassurer. Il n’avait point renoncé à la Salente collectiviste, mais pour l’instant il y rêvait seulement, agissait en vue d’objets plus pratiques et moins lointains. Le gouvernement de Combes n’eût point d’auxiliaire plus fidèle pour l’application de la loi sur les associations. Il se sentait très fort, et l’était. Quel plus bel usage à faire de cette force que de l’employer à l’achèvement de l’œuvre de justice, interrompue par l’amnistie ! Il y a des signes, partout, que les blés d’hiver commencent à germer, que les esprits se sont modifiés dans le calme, presque à leur insu. Artiste, il voit le beau discours, qui retentira dans le monde et dans l’histoire, et le beau geste. Politique, il calcule les conséquences de l’acte : le nationalisme définitivement vaincu, déshonoré, et quel coup au cœur des partis d’Église ! Tacticien parlementaire, il dessine une large et simple manœuvre : la commission d’enquête sur l’élection de Syveton conclut à la validation ; il ré-