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L’ENQUÊTE


« que la falsification du faux était postérieure à cette date[1] » ; le faussaire, vraisemblablement, était Cuignet ; si le faux avait été falsifié, ce ne pouvait être, en effet, que par Cuignet.

André, m’ayant appelé par dépêche au ministère, me fit part de sa découverte, comme du chef-d’œuvre de son enquête, et tout ce que je lui dis pour le faire revenir fut inutile. Quand je le pressai sur le mobile qui aurait fait agir Cuignet, il m’exposa que, si Cuignet avait montré à ses chefs le faux tel qu’Henry l’avait fabriqué avec Lemercier-Picard, il n’aurait pu appuyer sa démonstration que sur des arguments « d’ordre intellectuel » ; Gonse et Roget, Boisdeffre et Cavaignac ne pouvaient être convaincus que par des preuves matérielles, et des plus grossières. Quand je lui objectai les risques que courait Cuignet de se perdre à la place d’Henry, au cas où son imposture aurait été découverte, il répondit que Cuignet savait ses chefs incapables de mener à bonne fin le travail scientifique auquel, lui, André, venait de se livrer. Quand je lui opposai enfin les aveux d’Henry, il ne contesta point le procès-verbal de Roget, mais Cavaignac avait fait dire tout ce qu’il voulait au malheureux, « ahuri », étourdi par sa chute soudaine, « en présence de Boisdeffre, qui avait tout laissé faire, et de Gonse, qui l’avait peut-être aidé ou poussé à faire bien des choses[2] ».

Et c’était bien là, en effet, sa pensée de derrière la tête qu’Henry était une manière de « bouc-émissaire » et qu’il y avait de plus hauts coupables que lui. Mais le plaisir d’avoir fait une grande découverte l’emportait sur tout.

En bonne justice, André eût dû interroger Cuignet ;

  1. Cour de cassation, 13 juin 1904, Targe.
  2. Ibid.