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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


reproche à Picquart d’avoir proposé de tendre un piège à Esterhazy[1]. Ses discussions juridiques, techniques, déblayent, nettoient tout. Personne, sauf Mornard et, sur quelques points, Hartmann, n’a soumis encore les charges publiques ou secrètes à une critique aussi vigoureuse et aussi sûre.

Comme, lui aussi, il demande l’enquête, une enquête cette fois « définitive et complète », « sans demi-mesures » et « sur les moindres détails », il ne se prononce pas encore sur la question de revision. Cependant, il incline déjà à casser sans renvoi[2], et ne fait pas mystère que la justice militaire ne lui inspire plus confiance. « Il suffisait de regarder les charges produites » contre Dreyfus ; « son innocence est hors de doute » ; « pourtant, le conseil de Rennes l’a condamné[3] ».

Mornard plaida ensuite, avec sa forte méthode coutumière, cette belle tactique oratoire qui dispose et fait avancer les arguments en bon ordre comme des troupes bien rangées sur un champ de manœuvres ; mais, cette fois, avec quelque chose de plus, qui donna une vie plus profonde à ses récits, parce que Dreyfus, il y a cinq ans, malgré les Lettres d’un Innocent, n’était encore pour lui

    droits de la défense qui doivent toujours être respectés, et vis-à-vis de laquelle il est interdit de procéder par surprise… C’est encore un procédé d’instruction que je vous livre… »

  1. Cass., IV, 101 : « Picquart, cette fois, a fléchi et a proposé de faire quelque chose que, pour mon compte, je trouve détestable. Je n’admets pas les pièges tendus, fût-ce à un accusé pour le surprendre et le faire tomber. Je crois que jamais il ne faut employer ces procédés… Qu’est-ce que cela prouve, sinon l’air démoralisateur qui régnait dans ce milieu où les plus honnêtes arrivaient à prendre pour normaux des actes que la morale la plus vulgaire condamne ? »
  2. Cass., IV, 207 : « Il faut que les juges qui auront à apprécier la conduite de Dreyfus, s’ils doivent être saisis… »
  3. Cass., IV, 217.