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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


comme s’il avait eu l’instinct, qu’il exerçait pour la dernière fois son art, il s’y éleva au plus haut. Le Sénat l’écouta avec émotion, l’admira, puis vota contre lui. Il mourut, à la fois fier et anxieux de son œuvre, comme il avait vécu.

L’Affaire, qui n’était plus que le cas d’un particulier, ne pesait plus sur la politique. Cependant on l’évoquait souvent, chaque fois que la liberté, le droit semblaient en cause. Plus on s’éloignait d’elle, mieux on se rendait compte de son importance historique, comme de la hauteur d’une montagne qu’il faut voir à distance pour la mesurer.

Aux temps « héroïques », à mesure que le combat autour de Dreyfus devenait plus intense, que plus de passions, éclataient et que le fond du peuple était plus remué, les promoteurs de la Revision avaient élevé et élargi leur ambition : la réparation de l’injustice n’est plus le but unique de leurs efforts ; elle sera le point de départ et l’instrument, non seulement d’une évolution politique et d’une évolution sociale accélérées, mais d’une révolution dans les mœurs, d’une révolution morale : la justice dans la politique.

La vieille lutte du pouvoir civil, de la société civile, de l’esprit laïque, contre l’esprit théocratique et l’envahissement des religieux, a rempli une partie de l’histoire de France, sous l’ancien Régime comme depuis la Révolution. Elle sera poussée, cette fois, jusqu’au bout. Des étapes, qui semblaient ne devoir être parcourues qu’en plusieurs années, seront franchies en quelques mois. Les meneurs laïques du parti catholique, beaucoup moins préoccupés de religion que de politique, poussent aux violences, accusent d’« inertie », presque de lâcheté, les moines enseignants qui se résignent ; ils prêchent « la grève générale des congrégations ». Ils