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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ment en lui, dans la parole de ce soldat qui avait tant des qualités d’un grand chef, « d’un véritable homme de guerre[1] », et ils voyaient, écoutaient avec angoisse fuir les jours, les heures, sans qu’il tînt sa promesse de dire, quand il faudrait, coûte que coûte, toute la vérité, — et Dreyfus, le juif, le traître, allait être réintégré dans l’armée. C’étaient des milliers et des milliers de braves gens, de bourgeois, de vieux nobles aussi pleins d’honneur que de préjugés, qui aimaient tant l’armée qu’ils pouvaient bien croire qu’un métèque juif avait vendu pour quelques deniers la patrie qui l’avait adopté, mais non pas qu’un soldat, de vieille race française et catholique, eût fait condamner sciemment un innocent et, dix fois, se fût parjuré sur le Christ. C’étaient des milliers et des milliers d’officiers ; hier, ils se seraient fait tuer pour Mercier ; ils supportaient maintenant, sous le règne d’autres chefs, la peine de leur foi naïve et de leurs tenaces espérances. Et c’étaient aussi des milliers de religieux qui n’avaient été frappés dans leurs croyances ou dans leurs biens qu’en raison de l’Affaire qui avait dessillé les yeux des républicains. Toute cette France, trompée, abusée, regardait vers Mercier qui se taisait.

Drumont pensa avec inquiétude à sa clientèle, au tirage de sa feuille qui allait baisser, interpella Mercier, le fit sommer, par l’un de ses gens de plume, de tenir sa parole et de dire tout[2].

  1. André, Cinq ans de ministère, 228,
  2. Lettre ouverte (de Gaston Méry) au général Mercier, dans la Libre Parole (anti-datée) du 6 juillet 1906 : « Mon général, le temps presse, la Cour de cassation va rendre son arrêt et vous n’avez encore rien dit. Je viens vous conjurer de parler. Je suis un des innombrables Français qui, sur la foi de votre promesse de dire la vérité, toute la vérité… » — Lettre ouverte de Delahaye, ancien député, à peu près dans le même style, dans l’Autorité (anti-datée) du 8 juillet.