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LA REVISION


confidents de Scheurer, ayant rapporté le projet sur la réintégration de Dreyfus, il demanda la parole pour expliquer son vote.

André lui attribue cette maxime qu’il trouve d’un vrai chef, « de l’homme froid, méthodique, résolu, de la guerre scientifique moderne » : « Il ne faut jamais se reprocher d’avoir, à un certain moment, donné un ordre malencontreux[1]. » Il ne se reprochait rien, ne se défendit point, attaqua, accusa la Cour de cassation d’avoir suivi une procédure irrégulière.

« Lorsqu’un accusé, dit-il, a commis un crime, si épouvantable qu’il soit, il trouve toujours un défenseur. Dans le procès en revision, les juges du conseil de guerre, les témoins n’ont pas eu de défenseur. L’enquête s’est poursuivie à huis clos, sans publicité des débats, sans confrontation de témoins… »

Dans quelle enquête, dans quelle instruction, militaire ou civile, les témoins sont-ils assistés d’un avocat ? Quelle enquête fut jamais publique ? Mais ce n’était point l’imbécillité de la critique qui étonnait, rendit d’abord le Sénat muet ; c’était qu’il eût choisi celle-là, qu’il osât, lui, parler de procédure irrégulière et de huis clos, et qu’il en parlât sans embarras apparent, sans que rien, ni dans sa voix, ni dans son impassible et toujours correcte attitude, décelât le moindre trouble, l’angoisse de l’immense dégoût qui montait vers lui.

Le mépris, l’indignation éclatèrent. Vallé, Rivet, Ratier, vingt sénateurs l’interpellent, lui jettent au visage sa forfaiture de 1894. Il attend un moment de silence, trouve cette chicane : « Vous remontez au procès de 1894 ; je me permettrai de vous faire observer que le procès qui vient d’être soumis à la revision est

  1. Cinq ans, 228.
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