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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Clemenceau, en décembre, ayant quitté l’Aurore, parce que Gohier se targuait d’avoir été seul à tirer de l’Affaire « des arguments d’ordre général[1] », le furieux ne connut plus aucune contrainte. Qu’on juge de cette polémique forcenée par un seul passage :

    talent ; je le plaindrais s’il me croyait capable de le lâcher sous le feu de l’ennemi. Je serai présent à son procès, et je ne permettrai à personne, le cas échéant, de dénaturer ma pensée, » etc.

  1. « J’ai négligé avec soin, avait écrit Gohier, le côté individuel, personnel de l’Affaire Dreyfus, pour en tirer des arguments d’ordre général… Je me permettrai de rappeler que j’ai fait et poursuivi cette démonstration tout seul ici, durant de longues semaines, sous les outrages de l’ennemi, sous la réprobation et les reproches des défenseurs de la personne de Dreyfus. » (Aurore du 15 décembre 1899.) Clemenceau, qui avait, lui aussi, mais comme nous tous, « tiré de l’affaire des arguments d’ordre général », écrivit le jour même à Vaughan : « Après les attaques de Gohier contre moi, dans le numéro de ce matin, vous ne serez pas surpris que je vous envoie ma démission de rédacteur de l’Aurore. Je ne veux pas polémiquer avec mon collaborateur, pour la plus grande joie de nos adversaires, et il ne me convient pas de rester sous sa férule. » Malgré l’insistance de Vaughan et de Pressensé, Clemenceau refusa de revenir sur sa décision, récrivit, le 17, au directeur du journal : « Je vous prie de recevoir ma démission, motivée, comme vous le savez, par un dissentiment de rédaction que je juge grave. » Vaughan dans le volume où il raconte ses souvenirs de l’Affaire, ne semble pas croire à la réalité du motif allégué par Clemenceau. « Pourquoi Clemenceau a-t-il quitté l’Aurore ? Si on vous le demande, répondez que vous n’en savez rien, ni moi non plus, et que Clemenceau n’en sait probablement pas davantage. » Il en est réduit aux hypothèses : « Parce qu’il n’est pas homme à rester longtemps à la même place… Parce que, les revenus (du journal) diminuant, il se croyait menacé dans ses intérêts légitimes… Parce qu’il ne jouissait pas de la liberté de supprimer la liberté des autres… Parce qu’il espérait y être rappelé et pouvoir rentrer en maître… Parce que d’autres personnalités que la sienne s’y mettaient en lumière… » (Souvenirs sans regrets, 178.) Clemenceau rentra à l’Aurore en 1902, comme rédacteur en chef. Dans l’intervalle, il collabora régulièrement à la Dépêche et publia une gazette hebdomadaire, Le Bloc, qu’il rédigeait tout seul. Ses articles de cette époque sur l’affaire Dreyfus ont été réunis sous ce titre : La Honte.