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HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS


ferait remarquer à l’expert les ressemblances entre les deux écritures. Ces officiers étaient « absolument d’avis »[1] que le bordereau était de l’officier soupçonné, « que la vérification dans ce sens devait être facile ». Depuis cinq jours qu’ils s’échauffaient les uns les autres, une fièvre les brûlait, évidemment sincères, à l’exception d’Henry, haletant, dans une férocité patriotique, après leur proie.

Il est remarquable que cette unanimité ardente n’ait point fait impression sur l’expert ; il en aurait pu déduire qu’il y avait d’autres preuves, décisives, de la trahison. Il se contenta de dire que le travail était aisé à faire et qu’il le ferait « le plus rapidement possible ».

Gobert, au premier coup d’œil qu’il jeta sur le bordereau, fut frappé du caractère de l’écriture, « régulière, homogène, très normale ; c’était l’indice d’un graphisme non étudié », Il s’étonna aussitôt qu’une communication de ce genre ait pu être faite dans ces conditions, évoqua le souvenir des faux papiers que le mulâtre Norton avait fabriqués, l’année précédente, contre plusieurs hommes politiques du parti républicain[2].

Gonse « le rassura », lui affirma qu’une semblable hypothèse ne pouvait être admise, vu les conditions où le document était arrivé au ministère de la Guerre. L’officier soupçonné appartenait à l’artillerie, mais Gonse ne le nomma pas.

L’expert, continuant son examen, constata l’un des caractères essentiels de l’écriture anonyme : l’illisibilité. Au contraire, l’écriture de l’officier incriminé était très lisible[3].

En conséquence, l’expert demanda « s’il n’y avait pas

  1. Cass., I, 270 ; Rennes, II, 316, Gobert.
  2. Cass., I, 269, Gobert.
  3. Rennes, II, 300, Gobert.