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L’ENQUÊTE


plement encore, on eût pu ramasser dans son panier des notes déchirées, peut-être les brouillons de son étude sur l’artillerie allemande ou celui de telle lettre relative à des questions militaires. Il avait entretenu une longue correspondance avec un camarade, son cousin[1], qui se préparait à l’École de guerre. Il corrigeait ses travaux sur le jeu de guerre, lui donnait des conseils. Précisément, il se souvenait qu’il s’était repris, à deux fois, pour lui écrire, il y a quelques mois, avant d’aller en voyage d’État-Major. Il avait jeté au panier le brouillon de cette lettre. Il n’eût pas été impossible de composer, avec ces fragments, ou en décalquant l’écriture qu’ils fournissaient, les documents dont il était accusé d’être l’auteur.

Il roulait dans sa tête ces hypothèses. Mais qui avait pu voler ces papiers, lui voler son écriture, en faire cet usage ?

Il cherchait en vain. Une femme ? quelque bas employé civil ? un garçon de bureau ? Ce ne pouvait être un officier. Son culte de l’armée, ses superstitions militaires, encore intactes, en dépit des atrocités qu’il subit, se révoltent contre l’idée que l’infâme puisse porter l’uniforme, qu’un officier puisse être à la fois traître et faussaire[2].

Il s’exténuait dans ces luttes avec l’inconnu. C’est miracle que, dans ce pauvre corps ainsi affaibli, la petite lumière de l’esprit ne se soit pas éteinte.

Les nouvelles séances eurent lieu le 20, le 22 et le 24,

  1. Le capitaine Hadamard.
  2. « Vous avez dit à plusieurs reprises que l’auteur des faits qui vous sont reprochés ne pouvait être un officier ; sur quoi basez-vous cette appréciation ? — Sur mon cœur et mon patriotisme ; je ne puis admettre qu’un officier ait pu commettre un crime pareil. » (Interrogatoire du 29 octobre.)
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