Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


s’étaient appliquées sur tous les jambages du gabarit, le caractère géométrique du dessin eût trop clairement apparu, le jour où la pièce de conviction eût été surprise. Alors, de temps à autre, Dreyfus a fait subir au papier du bordereau un certain nombre de reculs, « décrochements », glissements ou déplacements[1], ce qui dérange l’exactitude mathématique de la superposition. De telle sorte que, si Bertillon n’avait pas découvert cette nouvelle ruse, Dreyfus eût pu prouver que l’écriture n’était pas géométrique — et l’espion était sauvé !

En outre, quand Dreyfus a écrit le bordereau, il a emprunté à des membres de sa famille certaines formes qui ne sont pas de son écriture courante, notamment l’s long à sa belle-sœur Alice[2].

L’intérêt de la combinaison est double ; le correspondant, qui reçoit le bordereau anonyme, y reconnaît, bien que déguisée, l’écriture de son correspondant, puisqu’il en a la clef, et qu’il lui suffit ainsi de constater que le kutsch s’applique à certains mots. Et, si le bordereau est pris, le coupable a deux moyens de défense : nier la ressemblance d’écriture, puisqu’il a volontairement introduit des dissemblances — ou arguer d’une machination, en dénonçant précisément le système qu’il a employé lui-même.

Bertillon a découvert aussi que « Dreyfus a eu la précaution d’introduire, de temps à autre, dans les documents qu’il écrivait au ministère de la Guerre, notamment dans une note adressée au général de Galliffet, des mots sur gabarit » ; c’est « la contre-partie nécessaire de l’alibi de machination[3] ». Il ne croit pas à

  1. Rennes, II, 333, 348, etc. Bertillon.
  2. Ibid., 336.
  3. Ibid., 321, 375.