Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
394
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pourrait compromettre, l’avocat loyal qui a accepté la défense de son frère. Dans cette juste cause, tout sera net, propre, même aux risques du désastre, et contre quels adversaires !

IV

Ainsi, Demange s’était borné à insérer dans ses conclusions une phrase sur l’unique document qui était tout le dossier, et il comptait bien y insister dans le début, forcément public, de l’audience, avant tout jugement sur le huis clos, puisque la loi lui en donnait le droit et qu’il ne touchait pas au fond du débat. Il ne dirait ni l’origine, ni même le texte du bordereau ; il dirait seulement qu’il n’y avait qu’une charge, le bordereau.

Mais, comme si ce mouvement tournant vers un peu de vérité avait été prévu, Maurel avait reçu des instructions pour arrêter l’avocat au premier mot. Avant tout, il fallait empêcher que la misère du dossier fût connue, que fût ébranlée la légende de la longue série de crimes relevés contre le traître.

Et l’ordre, sans doute, n’avait pas été donné avec cette brutalité, ni le véritable motif du huis clos indiqué avec ce cynisme. À la veille de la réunion du conseil, Maurel, prenant à part les juges, leur avait exposé que les preuves principales du crime imputé à Dreyfus ne pouvaient pas être produites publiquement, sans créer de graves difficultés internationales. C’était le cri furieux de la presse : « Le huis clos ou la guerre[1]. » Si De-

  1. Plusieurs journaux du 21 décembre prêtent cette formule à un membre du conseil de guerre (Patrie, Intransigeant, Gil Blas).