Dreyfus conservait tout son calme, voulant connaître toute la pensée de l’émissaire de Mercier.
Du Paty convint qu’on n’avait jamais soupçonné Dreyfus avant l’arrivée du bordereau ; « mais il y avait un fil qui indiquait que le coupable était un officier ; la lettre saisie a mis le point sur le fil ». D’ailleurs, depuis son arrestation, les fuites avaient cessé au ministère. Peut-être les attachés étrangers avaient-ils laissé traîner exprès sa lettre « pour le brûler, afin de ne pas satisfaire ses exigences[1] ».
C’était bien le système qu’il avait construit dans son cerveau bizarre. Rapprochant du bordereau la pièce Canaille de D…, il parlait toujours des folles exigences de Dreyfus[2].
La conversation dura près d’une heure. Dreyfus posa quelques questions qui embarrassèrent Du Paty : puisqu’Henry avait affirmé au conseil qu’il avait été prévenu dès février de la présence d’un traître à l’État-Major, pourquoi les officiers n’avaient-ils pas été surveillés à cette époque ? Il répétait que sa condamnation était inique, mais qu’aucune injustice ne saurait être éternelle. Son innocence un jour sera reconnue, sa famille n’y épargnera aucun effort ; son avocat le lui a promis. Dans deux ou trois ans, lui a dit Demange[3]. Peut-être plus tard, dans cinq ou six ans[4]. Sa foi dans l’avenir est absolue. Et c’est le devoir du Gouvernement lui-
- ↑ Cass., III, 534, lettre de Dreyfus à Demange.
- ↑ Rien ne prouve mieux que ce passage l’absolue exactitude du récit de Dreyfus.
- ↑ Demange a confirmé ce détail dans son plaidoyer de Rennes : « Je lui disais : Oui, on cherchera ; votre famille fera des sacrifices… Mais, c’est long ; il faudra bien du temps, deux ans, trois ans ! » (Rennes, III, 600.)
- ↑ Rennes, I, 100, rapport de Du Paty, et Rennes, III, 513, Du Paty. — « Je ne pouvais pas fixer de limites, observe Dreyfus (Rennes, III, 99) ; j’ai dit un, deux ou trois ans. »