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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Mercier y paraissait avec ses doutes ; il voulut n’avoir jamais douté. La question d’amorçage posée par Du Paty détruisait la légende des aveux.

Dreyfus, de son côté, adressa à Demange un long récit de l’incident, d’une minutieuse exactitude[1], et il écrivit à Mercier :

1er  janvier 1895.
Monsieur le Ministre,

J’ai reçu par votre ordre la visite de M. le commandant Du Paty de Clam auquel j’ai déclaré que j’étais innocent et que je n’avais même jamais commis aucune imprudence.

Je suis condamné ; je n’ai pas de grâce à demander ; mais, au nom de mon honneur qui, je l’espère, me sera rendu un jour, j’ai le devoir de vous prier de vouloir bien poursuivre vos recherches.

Moi parti, qu’on cherche toujours ; c’est la seule grâce que je sollicite.

Alfred Dreyfus.

Mercier ne reçut pas sans colère cette lettre si fière[2], d’une hautaine sérénité, où transparaît l’âme invaincue, la conscience sans reproche. Il en perdait son dernier espoir d’un plein triomphe tranquille, paré contre tout danger. Il avait promis un adoucissement de peine à l’aveu mensonger non pas même du crime, mais d’une faute. Il saura se venger de l’obstinée protestation d’innocence. Il décida que l’irréductible juif serait traité avec la dernière rigueur et proposa au conseil des ministres de lui affecter un lieu spécial de déportation, où la surveillance serait plus sévère qu’à la presqu’île

  1. Cass., III, 534 à 536.
  2. Cass., III, 536. — Cette lettre avait été transmise ouverte à Saussier, qui l’avait lue avant de l’envoyer à Mercier.