Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
541
LA CHUTE DE MERCIER


Mercier, la pièce Canaille de D… au bordereau[1]. Et, comme le texte du bordereau montre cet espion harcelant l’attaché allemand qui le laisse sans nouvelles, cela suffisait pour permettre de dire qu’on n’avait nulle preuve que le document eût été sollicité ; le bordereau, en effet, ne l’a pas été, offre misérable de misérables renseignements. Mais Casimir-Perier n’eût pas attesté qu’il croyait Schwarzkoppen étranger au crime de Dreyfus ; et cependant, cette conviction qu’il n’a pas, il se l’attribue devant le représentant du souverain qui s’adresse à lui.

Ainsi l’équivoque subsistait. Le Président de la République refusait, dans son for intérieur, d’accepter la parole impériale que Dreyfus n’a eu aucun rapport, direct ou indirect, avec aucun agent allemand, et il s’accrochait à l’hypothèse d’un mensonge intéressé de Schwarzkoppen. Munster, d’autre part, confiant dans l’absolue loyauté de son interlocuteur, lui prêtait une pensée qu’il était loin d’avoir, mais son soupçon de quelque affreuse erreur devenait une certitude. Et, de même Schwarzkoppen qui, par la suite, dans ses conversations, n’hésitera pas à désigner Du Paty comme l’auteur responsable de cette erreur. Il continuera à le voir chez Mme D’Orval, et, comme il lui parle « plus poliment que sincèrement, à la française[2] », l’infatué marquis croit l’attaché allemand « très heureux qu’il lui ait évité tous les pièges tendus pour le mettre personnellement en cause[3] ». Mais, aux manœuvres de 1896, un jour que l’attaché militaire suisse, le colonel Chauvet,

  1. Casimir-Perier, après sa démission, donna cette version à plusieurs de ses amis, notamment, le 22 février 1897, à Scheurer-Kestner.
  2. Dostoïewski, Les frères Karamasof, I, 28.
  3. Du Paty, note sur l’entrevue du Cherche-Midi, in fine. (Cass., II, 148).