Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
567
LA CHUTE DE MERCIER

La scène hideuse de la Rochelle, quand les journaux la racontèrent, provoqua un mouvement d’horreur[1], sauf au journal de Drumont. La Libre Parole écrivit avec satisfaction : « Dreyfus sait maintenant ce que pense la France et de son crime et de ses cyniques dénégations[2]. »

Le juif, écrivant à sa femme, pardonnait à ses bourreaux. Ils le croyaient « le traître, c’est-à-dire le dernier des misérables !… Je ne sais plus si j’ai un cœur ». Il regrettait de n’être pas tombé sous les coups de la foule. « Quand j’aurais encore crié : « Vive la France ! » peut-être qu’alors eût-on cru à mon innocence[3] ? »

XI

Le régime du prisonnier à la Santé avait été humain ; au dépôt de Saint-Martin-de-Ré, il fut cruel.

Nuit et jour, deux surveillants, relevés de deux heures en deux heures, le gardaient, avec la consigne de ne pas perdre de vue un seul de ses mouvements. Ils avaient été envoyés de différentes maisons centrales, par ordre de Dupuy, avec défense de lui adresser la parole ou de répondre à aucune de ses questions[4]. Mais, comme leurs oreilles n’avaient pas été bouchées, ils l’entendirent protester sans cesse de son innocence, et l’un d’eux raconta qu’il en avait été convaincu[5].

  1. L’Éclair même protesta dans un article éloquent de Séverine.
  2. Numéro du 20 janvier, article signé Cravoisier. — De même ici « la cynique dénégation » remplace les aveux.
  3. Lettres d’un innocent, 19 et 21 janvier.
  4. Cass., I, 807, Picqué.
  5. Cass., I, 406, Fournier.