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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

À peine avait-il écrit cette lettre qu’il fut brusquement prévenu d’avoir à s’apprêter pour le départ. Vers où ? Il l’ignorait. Le lieu même de sa déportation lui avait été caché.

Il fut encore déshabillé et fouillé, par ordre spécial[1] des ministres de la Marine et des Colonies[2]. On s’étonna de ne rien trouver de suspect sur lui. Puis il fut conduit au quai entre des gardiens et embarqué sur une un canot à vapeur qui l’amena, à la nuit noire[3], dans la rade de l’île d’Aix. Le froid était terrible, quatorze degrés au-dessous de zéro.

Le vaisseau la Ville-de-Saint-Nazaire avait été désigné pour le transport. Dreyfus y fut enfermé dans une cellule grillée.

Un hamac lui fut jeté, et il fut laissé sans nourriture.

Ses forces étaient épuisées. Il tomba, sanglotant, dans un coin, criant le nom de sa femme.

Avertie de son départ, elle fût restée. D’un dernier regard qu’il eût senti, elle eût suivi, vers le bagne où elle voulait le rejoindre, le lourd vaisseau qui l’emportait.

Ainsi se séparèrent ces deux créatures humaines, également innocentes, le 21 février 1895, plus d’un siècle après la Révolution française et l’abolition de la torture.




  1. Rennes, I, 47, rapport du Dr Ranson.
  2. L’amiral Besnard et Chautemps.
  3. À 8 heures et demie (rapport Ranson). « En raison de la soudaineté de ce départ, personne n’y assistait. Aucun incident ». (Dépêche de Picqué au ministre de l’Intérieur, du 21 février 1895).