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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avoir eu quelque soupçon[1], répètent la même version : « Il a été remis à Henry par l’agent ordinaire à l’ambassade d’Allemagne ; » — c’est la femme Bastian ; — comme tout ce qui sortait du cornet à papiers, il était « en morceaux ». Et c’est la version suprême d’Henry : « C’est à moi qu’on a apporté le bordereau. Il est venu par la voie ordinaire, avec des documents dont l’authenticité est indiscutable. Toute autre version est contraire à la vérité et matériellement impossible[2]. »

Ces pièces, qui seraient venues avec le bordereau, Mercier en donne les dates : « Il y en avait une du commencement d’août et les autres s’échelonnaient : 21, 24, 26 août jusqu’au 2 septembre[3]. »

L’archiviste Gribelin et Lauth, le principal adjoint d’Henry, ont raconté comment ils auraient connu le bordereau.

Le matin du 24 septembre, Henry était venu de bonne heure au ministère, sans monter à cheval, comme il faisait d’habitude, avec son ami Lauth[4]. Il y était installé, « ce qui était rare[5] », avant l’archiviste Gribelin. Quand l’archiviste arriva, Henry l’appela aussitôt : « Voyez donc ce qui m’a été remis, lui dit-il. C’est fort. Et j’espère bien qu’on va le pincer[6]. »

  1. Rennes, II, 501, Cordier.
  2. Procès-verbal de l’interrogatoire subi par le lieutenant-colonel Henry, le 30 août 1898, à 2 h. 30 du soir (Revision du procès Dreyfus à la Cour de cassation, Octobre 1898, p. 104). Voir t. VI, p. 319, note 1, la lettre d’Henry à la Bastian du 25 septembre, qui suffit à prouver que le bordereau n’est point venu par le cornet.
  3. Rennes, I, 86, Mercier.
  4. Rennes, I, 608, Lauth. Sur la date de l’arrivée du bordereau, voir Revision du procès de Rennes, rapport Mornard, 573, et Enquête de la Cour de Cassation, I, 524 et 540.
  5. Rennes, I, 593 Gribelin.
  6. Cass., I, 430, Gribelin. — À Rennes (I, 593), Gribelin s’est rendu compte de l’imprudence qu’il a commise en rapportant ainsi la phrase d’Henry : « Voyez donc ce qui m’a été remis. » Et il corrige : « Voyez donc ce que j’ai trouvé. » Dans sa première version, Gribelin laissait échapper l’aveu que le bordereau avait été remis à Henry par Brücker ; dans la seconde, il se rattrape : c’est dans le cornet de la Bastian qu’Henry aurait