Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


veloppe[1] ; et lit. Et il porte, le jour même, à Henry sa précieuse trouvaille[2].

Henry n’y a pas plus tôt jeté les yeux qu’il en reconnaît l’écriture, celle d’un ami de vingt ans, qu’il tutoie, qui n’a rien de caché pour lui, son camarade d’autrefois

  1. La lettre avait-elle été déposée par Esterhazy à l’ambassade ou venait-elle par la poste ? Je crois qu’Esterhazy avait mis simplement sa lettre à la poste de Rouen, où il tenait garnison. S’il avait été à Paris, il se fût informé des causes du silence de Schwarzkoppen (« Sans nouvelles de vous, monsieur… ») Il eût su, soit à l’ambassade où il allait ouvertement, soit au domicile de l’officier allemand, soit au cercle, que Schwarzkoppen était en congé. Il eût attendu son retour pour lui écrire ou aller le trouver. Absent de Paris, pressé peut-être d’un impérieux besoin d’argent, il confia audacieusement sa lettre à la poste. Comme il se servait d’un papier-pelure très mince, le pli distinct, qui renfermait les notes, était très léger. Dans ce cas, l’enveloppe du bordereau portait le timbre de la poste de Rouen. Que devint cette enveloppe ? Qui l’a détruite ? Brücker ?… Pourquoi ?… Henry ? — Le commandant Hartmann (Cass., I, 539) croit, comme moi, que le bordereau est venu par la poste : « L’auteur du bordereau, dit-il, n’est pas dans la même ville que son correspondant, il communique avec lui par la poste ; l’envoi du projet de manuel ne pouvant se faire que par un paquet qui sera forcément suspect, il lui propose de lui en envoyer seulement une copie, qu’il expédiera en plusieurs fois, sur papier pelure, dans des missives ne dépassant pas 15 grammes. »
  2. Esterhazy (Dessous de l’affaire Dreyfus, p. 136) dit formellement que « le bordereau n’est pas arrivé au service des renseignements déchiré en menus morceaux » et « qu’il n’est pas arrivé par le cornet ». Le 18 juillet 1899, il précise dans une conversation avec un rédacteur du Matin que « le bordereau fut pris dans la loge même du concierge, dans le casier de Schwarzkoppen. Il ne parvint donc jamais entre les mains de l’attaché allemand qui ne l’a jamais vu et n’a donc jamais pu le déchirer et le jeter dans son panier à papiers… Le bordereau a été porté au service des renseignements par un Allemand dont je dévoilerai le nom si l’on m’y force. Il habitait temporairement Paris, en raison même de ses fonctions ; il est encore employé comme agent par le service des renseignements, » — Il est difficile de désigner plus clairement l’agent Brücker.