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ABANDONNÉE

regagna sa demeure. Elle savait maintenant combien la douce étrangère serait aimée et soignée dans ce château.

— À demain ! avait dit M. Conlau.

Paule vint s’établir avec sa broderie près de la fenêtre ouverte, afin que le réveil de Mireille ne fût pas effrayé par la solitude dans cette chambre inconnue. Elle rêvait plutôt qu’elle ne travaillait, et bien souvent son regard allait vers l’enfant dont le souffle régulier annonçait un bon et réconfortant repos.

Oui, sa sœur avait eu raison, elle était bien faite pour être épouse et mère. Quelle sollicitude dans les yeux bleus qui se fixaient sur le lit ! À chaque mouvement de la petite créature, Paule se levait et, sur la pointe des pieds, elle allait vers elle, ne reprenant sa place que lorsque le calme semblait revenu.

Quand les longues paupières s’ouvrirent et se refermèrent comme épouvantées, la jeune femme s’avança vivement, et appuyant la petite tête peureuse sur sa poitrine :

— Ne crains rien, ma chérie, tu es ici chez de bonnes amies qui t’aimeront bien, crois-le. Regarde-moi ! Veux-tu m’embrasser ?

Et d’eux-mêmes les petits bras se nouèrent à son cou, et des lèvres fraîches se posèrent sur sa joue.

— Allons ! voici la connaissance faite ! s’écria Paule gaiement. Maintenant je vais t’asseoir dans ton lit, et pour que tu n’aies pas froid je te passerai ce joli manteau de laine. Vois comme il est charmant !

Elle l’entoura du moelleux tissu et lui donna un beau livre de contes de fées, aux images coloriées des plus vives couleurs.

— Sais-tu lire, mignonne ?

— Oui.

— Eh bien ! pour ne pas trop te fatiguer, déchiffre seulement les mots qui se trouvent sous chaque gravure.

L’enfant fut d’abord très intéressée, puis elle laissa le livre, et regardant autour d’elle avec admiration :

— C’est beau, ici ! fit-elle. Mais je voudrais voir maman et Marie.

Paule fut un peu décontenancée.

— Cela est naturel ! se murmura-t-elle ensuite. Elle me connaît à peine, moi. Si elle ne regrettait pas celle qui l’a sauvée, elle manquerait de cœur.

Elle reprit la petite fille entre ses bras, et l’embrassa tendrement en lui disant :

— Ta maman et Marie viendront dans quelques jours.

Puis, comme les yeux sombres s’agrandissaient pour ne pas laisser échapper les larmes qui y perlaient :

— Tu ne reverras ta mère que si tu te laisses soigner et dorloter sans pleurer, ajouta-t-elle. Je vais le donner ta poupée, et nous allons jouer toutes deux : veux-tu ?

— Oui, car je t’aime bien, toi aussi.

Et les pleurs ne jaillirent pas.

La jeune femme prit sur la table quelques roses qu’elle avait cueillies pour l’enfant, et les jeta sur son lit.

— Des fleurs ! fit-elle joyeuse.

Elle les rassembla et y enfouit son petit visage fatigué. Paule sonna.

— Allez me chercher quelques gâteaux et un flacon de vin d’Espagne, Thérèse, dit-elle à la femme de chambre qui accourut à cet appel. Vous me porterez ensuite ma corbeille à ouvrage.

— Bien Mademoiselle. La petite va mieux, s’il vous plaît ?

— Oui, voyez combien ses traits sont calmes.

L’enfant sourit à la domestique qui lui souriait.

Mlle Irène est-elle au château ?

— Mademoiselle s’est rendue à Cléguer il y a quelques instants, Mademoiselle.

— Dès le retour de ma sœur, dites-lui que je désire la voir.

— Oui, Mademoiselle, dit Thérèse en sortant pour exécuter les ordres de sa maîtresse.

Elle reparut avec les objets demandés.

La jeune femme et la petite malade goûtèrent gaiement. Puis, prenant son nécessaire, Paule confectionna un mignon chapeau pour la poupée qui n’en avait pas. Et les heures passèrent, si brèves, qu’elles n’entendirent pas rentrer Mlle Irène.

La vieille demoiselle s’arrêta sur le seuil de la chambre, charmée par le groupe gracieux que formaient sa sœur et Mireille.

— Je vois que vous êtes toutes deux complètement amies ! dit-elle enfin.

— Ah ! c’est toi, Irène !

Et le visage transfiguré, Paule, lui sourit.

— C’est une transformation ! murmura Mlle de Montscorff.

Elle ne le disait pas seulement pour la malade, mais encore pour sa fille, comme elle l’appelait.

Aussi, le soir, dans ses prières, remercia-t-elle Dieu de toute son âme.

Paule éleva également ses pensées vers le ciel en lui criant son bonheur, et en le bénissant d’avoir envoyé vers sa solitude cette abandonnée qui avait déjà pris tout son cœur. En écoutant le souffle léger de la chère petite confiée à sa protection, elle disait avec élan :

— Je la garderai ; elle sera ma fille, mon amour, et elle me rendra tendresse pour tendresse.


CHAPITRE VI

UNE ESCAPADE DE PETITE BOHÊME


Les jours passèrent très doux pour Mireille sous le toit hospitalier des Magnolias. Son état de santé s’en était ressenti. Elle se levait quelques heures dans la journée, elle faisait même de courtes promenades dans le jardin, au bras de Paule, qui s’attachait de plus en plus à cette fillette aimable et tendre.

L’enfant avait revu Mme Kerlan avec un plaisir très évident ; elle avait été bien joyeuse de jouer avec Marie et Louis ; mais elle les avait quittés sans larmes, ses grands yeux noirs fixés sur cet horizon de beaux arbres qu’elle semblait ravie de contempler.

Cette petite nature rêveuse avait souffert de cette existence passée dans la roulotte, où sans Juana elle aurait été si malheureuse ; elle se complaisait maintenant dans ce milieu exquis, près de ces femmes distinguées, de