Page:Jouan - L’Abandonnée.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
ABANDONNÉE

sence. On se donna rendez-vous pour le lendemain à la fonda, Marie ayant besoin d’une nuit de repos après les fatigues du voyage.

— Elle est bien malade, n’est-ce pas, mon ami ? demanda Mme Falouzza, lorsque M. et Mme de Peilrac les eurent quittés.

— C’est-à-dire qu’elle a à peine quelques mois à vivre ! Et elle le pressent bien. Ce désir de repos à la campagne en est une preuve. Pauvre femme ! pauvre mari surtout ! Il doit y avoir un mystère dans la vie de ces deux êtres jeunes, beaux, riches, et qui semblent si malheureux… C’est une maladie de cœur qui l’emportera, mais elle a dû être aggravée par un mal moral.

Aussi leur ai-je offert spontanément notre castillo. Tu ne m’en veux pas, Résa ?

— J’en aurais fait autant, bien cher ! Pauvre créature ! quel désespoir, en effet, on lit dans ses yeux ! Oh ! si tu pouvais la guérir, Juan ?

Le docteur secoua la tête.

— Quand la science est impuissante, on ne doit s’adresser qu’à Dieu ; lui seul peut faire des miracles.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quelques jours plus tard, la jeune comtesse s’accoudait, toute joyeuse, au balcon fleuri de sa chambre, essayant de renaître à la vie au milieu des merveilles qui l’entouraient.

Mais le cœur était trop profondément atteint pour reprendre ses battements réguliers, et la malade se mourait doucement, tout en conservant l’espoir de guérir pour ce mari si bon, dont le dévouement et la tendre affection ne s’étaient pas démentis une seconde.

*

M. et Mme de Peilrac continuèrent des relations courtoises avec leurs nouveaux amis. Très souvent Mme Falouzza dirigeait vers le castillo la légère galera attelée d’une mule, si joliment harnachée de pompons et de grelots, qu’elle conduisait elle-même. Ses fillettes, Inès et Carmen, deux mignonnes jumelles de quinze ans, l’accompagnaient toujours.

C’était une réelle distraction pour Marie que la venue de ces femmes aimables et bien élevées. Elles cherchaient par tous les moyens à l’arracher à ses tristes pensées, et elles y réussissaient parfois : la jeunesse et le bonheur sont communicatifs.

Mme Falouzza avait reçu la douloureuse confidence. Assise près de Marie, sur le balcon Henri, leurs mains étroitement unies, elle avait écouté le récit du drame terrible, et mêlé ses larmes à celles de la mère inconsolée. C’était un devoir pour elle maintenant de venir lui apporter ses baisers de sœur et les frais sourires de ses filles qui, comme elle, chérissaient la comtesse.

Qui n’aurait aimé cette jolie et douce créature qu’un mal incurable minait, qui le savait, et trouvait encore assez d’énergie en elle pour accueillir ces sympathies, un éclair de joie en ses yeux limpides !

Parfois Marie, en ses heures de calme, jetait sur la belle tête brune de sa nouvelle amie la mantille nationale en dentelle noire, où elle piquait un bouquet.

— Que cette coiffure vous va bien ! disait-elle avec son sourire resté si jeune malgré tout. Jamais vous n’en devriez porter d’autres.

Et la belle Espagnole souriait, heureuse de réjouir un peu la malade.

Pendant les premiers jours de leur arrivée à Majorque, le comte avait fait visiter à sa femme les principaux monuments de Palma, Marie étant alors assez forte pour le supporter.

Ce furent les églises qui les attirèrent tout d’abord : la cathédrale, immense, dont les piliers nombreux portent de merveilleuses sculptures, ainsi que son superbe portail ; l’église San Francisco, celle du Monte-Sion, qui offrent encore de grandes richesses.

Le sacristain qui leur servit de guide pendant leur visite à la cathédrale les fit s’arrêter devant le tombeau en marbre noir sur lequel un sceptre, une couronne et une épée étaient déposés.

— Le corps du roi don Jayme II y est enfermé, leur dit-il ; il est parfaitement conservé depuis tant de siècles ; le voulez-vous voir ?

La comtesse avait fait un geste d’épouvante en se reculant.

— Non ! non ! s’était-elle écriée ; laissez ce roi en paix. Je ne veux pas troubler son repos. Heureux ceux qui peuvent prier sur le tombeau des leurs ! avait-elle ajouté.

Et son mari l’entraîna loin de ce coin funèbre.

Ils s’extasièrent ensuite devant la Casa consistorial, ce splendide édifice, aux portes et aux fenêtres à frontons d’une belle architecture : son toit s’avance sur une grande profondeur, et cet auvent admirablement sculpté lui donne grand air. Dans une des salles des séances se remarque le portrait du roi don Jayme Ier, el Conquistador.

La Lonja, bel édifice de style gothique, dont les tours à créneaux se répètent dans l’onde ; le Palacio Real, superbe demeure de construction romaine, leur plurent aussi infiniment.

Mais, plus que ces œuvres des hommes, la nature radieuse de Majorque, cette perle des Baléares, les attirait.

Sous un ciel à l’azur éclatant où volaient de blanches colombes, ils se plaisaient à errer tous deux, dans leur galera aux mules richement caparaçonnées, par les larges chemins bordés d’arbres splendides qui jetaient sur leurs fronts l’ombre de leurs puissants rameaux, ou en suivant un sentier longeant la mer, et tout parfumé de romarin et de lavande. Et, disséminés sur la falaise, de gais moulins tournaient au vent du large de toutes leurs ailes de lin.

La jeune femme aspirait à pleins poumons cette brise douce et embaumée, qui semblait lui apporter une existence nouvelle. Et le comte renaissait à l’espérance en voyant ses yeux devenir plus rieurs, ses joues se colorer sous l’action vivifiante de cette température exquise.

Parfois ils rencontraient de gracieuses filles revenant de la fontaine en portant sur la hanche, d’un geste charmant, leur cruche en forme d’amphore. Ils s’arrêtaient dans de coquets villages cachés sous les amandiers et les oliviers. Des jeunes gens s’y reposaient des travaux du jour en jouant sur la guitare des airs majorquins au rythme entraînant ou berceur. Pour plaire aux étrangers, toujours les