Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/217

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est pas départie avec une égale largesse, ni avec la même faveur. Quelques-uns ont une pudeur peu subtilement ourdie ; d’autres n’en ont qu’un lambeau. Ceux qui portent en eux les germes de toutes les perfections, ont seuls une pudeur parfaite, seuls une pudeur entière, et dont les innombrables fils se rattachent à tous les points où aboutit leur existence.

C’est celle-là que je décris.

Nous ne la gardons pas toujours. Elle est semblable à la beauté : d’affreux accidents nous l’enlèvent, et d’elle-même, sans efforts, elle diminue et s’efface, lorsqu’elle serait inutile et que le but en est atteint. La pudeur, en effet, subsiste aussi longtemps qu’il est en nous quelque particule inconnue, qui n’a pas pris sa substance et toute sa solidité, et jusqu’à ce que nos organes aient été rendus susceptibles d’adopter et de retenir des impressions éternelles. Mais quand les molles semences de nos solides qualités ont pris tout leur développement ; quand nos bienveillances premières, comme un lait qui se coagule, ont produit en nous la bonté, ou que notre bonté naturelle est devenue inaltérable ; quand, nourri de notions chastes, notre esprit s’est développé,