Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/52

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religieux, la délicatesse et l’ingénuité des expressions.... Qui m’eût dit qu’à quinze ans de là, uni à la famille de M. Joubert par les liens les plus étroits et les plus chers, j’habiterais à mon tour la modeste demeure où je venais de pénétrer en étranger ; que le sort m’appellerait à recueillir, aux lieux où elles étaient écloses, les pensées de cet excellent homme ; que sa bibliothèque deviendrait la mienne ; que j’écrirais ces lignes obscures et sans valeur sur la table même où tant de perles étaient tombées de sa plume !

M. Joubert était assis dans son lit, à demi vêtu d’un spencer de soie, et entouré de livres. Il nous reçut avec cette bienveillance exquise dont on se sent flatté comme d’une distinction personnelle. Dès l’abord cependant une singularité m’avait frappé. Je l’avais vu quitter, à notre approche, un volume dont il était occupé, la main envepée dans un gant ciré, à polir la couverture. J’ai su depuis que, lorsque sa santé ne lui permettait ni de monter à sa galerie, ni de se livrer aux travaux de la pensée, il lui arrivait souvent de faire descendre quelques-uns de ses écrivains favoris, pour rendre à leur parure de ces petits soins humbles et naïfs où se laissait aller son amour pour eux. On concevra du reste le prix qu’il attachait à ses livres, en songeant que c’était peu à peu, sur des épargnes dont l’emploi était parfois contesté, et presque toujours après de longues recherches, qu’il les avait successivement acquis. La librairie d’alors n’offrait pas les richesses qu’étale aujourd’hui la nôtre. Les auteurs de quelque prix n’avaient point encore reçu les honneurs de ces réimpressions fécondes qui, sous des formes multiples, viennent, presque malgré nous, envahir nos rayons.