Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/64

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aux personnes qu’il aimait tout ce qui manquait à leur perfection. Soit par l’effet de la bienveillance qui lui était naturelle, soit, ainsi qu’il le disait encore, qu’il lui semblât nécessaire de savoir bravement « s’aveugler pour « le bonheur de la vie », son imagination complaisante effacait les aspérités de leur caractère, comblait les petites lacunes de leurs bonnes qualités, et, une fois éprise par un point, se laissait éprendre par tous, ainsi qu’un aimant flexible qui suivrait, eu s’y attachant, les sinuosités d’une surface inégale. Il y avait d’ailleurs en son âme des trésors de sentiment, une surabondance d’idées dans son esprit, qui lui permettaient d’en céder à mains pleines à ses amis : il se plaisait a les enrichir de sou superflu.

Aussi, dès son retour à Paris, devint-il tout naturellement le centre de la société qui, naguère réunie près de madame de Beaumont, s’était, depuis sa mort, un moment dispersée. Son salon remplaca celui de la rue Neuve-duLuxembourg. Bientôt même les soirées semblèrent trop courtes à ses amis ; et, comme il restait d’ordinaire couché jusque vers trois heures de l’après-midi, son lit s’entoura d’auditeurs de plus en plus avides de l’entendre. Je n’essaierai pas de donner une idée du charme de sa parole ; ce talent fugitif est un de ceux qui, tout en causant les émotions les plus vives, laissent les traces les moins saisissables II résulte de je ne sais quel accord heureux entre 1 esprit et la personne, la voix et le regard, le geste et le mot, dont les secrètes harmonies s’évaporent comme des parfums ou des sons : ou en jouit, mais on ne le peint pas. Malheureusement le causeur cédait avec un si facile abandon iv l’entraînement qu’il communiquait, qu’inquiète (iar