Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/76

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d’une mère pleine de sagacité, de vertus et d’abnégation, à l’abri de tous les souffles impurs, n’était pas perdue pour le philosophe ; et quand, vers la fin de sa vie, il dévoilait avec tant d’art les mystères de la pudeur, c’était à elles, à leurs âmes naïves qu’il en dérobait silencieusement la confidence. Peut-être ai-je le droit de leur rendre ici la part qu’elles ont eue dans l’essai merveilleux tenté par M. Joubert, moi qui les ai si bien connues, ces nobles âmes, et qui leur ai dû de comprendre l’œuvre qu’elles avaient inspirée.

Les années s’écoulaient rapides au sein de cette famille heureuse, épargnée jusque-là par le sort. L’heure vint pourtant où il fallut se séparer. Dans les premiers mois de l’année 1824, les indispositions habituelles de M. Joubert se montrèrent plus graves et plus longues : l’équilibre longtemps maintenu entre toutes ses faiblesses se rompit ; sa poitrine s’engagea, et bientôt le docteur Beauchêne, son vieil ami, présagea avec douleur une fin que son art ne pouvait plus conjurer. Lui-même sentit sans doute que le moment suprême approchait, car, saisissant encore une fois son crayon, il inscrivit sur son journal ces derniers mots, rapide analyse de sa vie, de ses travaux et de ses espérances :

« 22 mars 1824. Le vrai, le beau, le juste, le saint ! »

À partir de ce jour, tous les symptômes se précipitèrent, et le 4 mai suivant, muni de la nourriture sacrée au milieu de sa famille eu larmes, il remonta vers les célestes demeures d’où il semblait n’être que pour un moment descendu.