Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/134

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hélas ! Il faut, pour plaire aux peuples corrompus, leur peindre des passions désordonnées comme eux. Ces âmes, à qui leur désordre a rendu les grandes émotions nécessaires, sont avides d’excès, dans leur implacable faim. C’est ainsi que les hommes accoutumés à la crainte de la tempête, à l’espérance du calme, à tous les grands mouvements qu’apportent de longues et périlleuses navigations, ne goûtent plus le repos de la terre, et demandent sans cesse la mer et ses écueils, l’orage et ses horreurs.

Peignez au moins, dans les passions exclusives et dominantes, le cri de la nature qu’elles tourmentent, et l’effort de l’âme qu’elles épuisent.

Il n’y a pas eu un seul siècle littéraire dont le goût dominant ne fût malade. Le succès des auteurs excellents consiste à rendre agréable à des goûts malades des ouvrages sains.