Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/243

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235 personne, parce qu’elles supposent plus la faihlesse et Yentétement des ames qui les éprouvent , que la gran- deur des pertes qu’on a faites. Il y a telle femme dans le monde qui, pour la mort d'un enfant de quatre jours, s’est plus désolée , a plus pleuré, et s’est obstinée a se dmoler plus longtemps qu’on ne le fait pour des étres dont la vie avait un grand prix. Ce qui honore ceux qui ne sont plus , c’est une douleur modérée , a qui sa mo- deration meme permet d’étre aussi durable que la vie de celui qui l'éprouve , parce qu’elle ne fatigue ni son time ni son corps; une douleur haute , qui permet aux occupations , et meme aux délassements de la vie , de passer, en quelquc sorte , sous elle; une douleur calme , qui ne nous met en guerre ni avec le sort, ni avec le monde , ni avec nous-memes , et qui pénetre une ame en paix , dans les moments de son loisir, sans interrom- pre son commerce avec les vivants et avec les morts. Qu’il me soit permis un moment de dire comment je voudrais étre regretté. J ’expliquerai ainsi comment je trouve beau de l`6tre. Je voudrais que mon souvenir ne se présentat jamais ai mes amis sans amener une lar ii e d'attendrissement l sous leurs paupieres et le sourire sur leurs levres. Je l voudrais qu`ils pussent penser a moi, au sein de leurs plus vivss joies , sans qu’elles en fussent troublées , et qu’a table meme , au milieu de leurs festins , et en se réjouissant avec des étrangers , ils tissent quelque men- tion de moi, cn eomptant parmi leurs plaisirs le plaisir de m’avoir aimé et d’avoir été aimés de moi. Je voudrais avoir eu assez de honheur et assez de bonnes qualités, pour qu’il leur plut de eiter souvent , a leurs nouveaux anis , quelque trait de ma bonue humour, ou de mon Digiiized by Gccgle