Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/297

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Quatre gros et énormes volumes in-octavo, qui me coûtent, s’il vous plait, trente-six grosses livres, argent de France ! C’est le papier le plus cher de la librairie. Figurez-vous un latin allemand, dur comme des cailloux ; un homme qui accouche de ses idées sur son papier, et qui n’y met jamais rien de net, de tout prêt et de tout lavé ; des oeufs d’autruche qu’il faut casser avec sa téte, et ou la plupart du temps on ne trouve rien.

Il faut qu’il y ait entre l’esprit allemand et l’esprit francais, dans leurs operations intellectuelles, la même différence qui s’est trouvée , pendant toute la guerre , entre les mouvements des soldats des deux nations. J'ai ouï dire et vous savez qu’un soldat francais se remuait vingt fois, dans le temps nécessaire a un soldat allemand pour se remuer une : voila notre homme. Un esprit francais dirait, en une ligne et en un mot , ce qu’il dit à peine dans un tome; un créateur d’ombres opaques qui, séduit et séduisant les autres par cette opacité meme, croit et fait croire qu’il y a, dans ses abstractions ténébreuses, une solidite qui, certes , n’y est pas; des apercus , quelques clairieres cependant; du sens , de l’esprit quelquefois; des chimeres de logique qui remplissent et détruisent assez bien les néants que la derniere école était si fière d’avoir établis , et qu’elle donnait pour du plein, avec une intrépidité si froide et un amour-propre si content.

Je me casserai la tête encore une fois, et plus d’une fois, contre ces cailloux, ce fer, ces oeufs de pierre et ces granits, pour essayer d’en retirer quelque lumière ; mais je n’y pourrai, je crois, gagner que des bosses au front.

Que voulez-vous que je vous dise ? Je bats les champs, en parlant de cet homme, parce qu’il les bat aussi en