Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/459

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turc est un franc étourdi qui s’est épris de vous, a la premiere vue, tandis que vous avez été souvent l’objet de ma plus sérieuse attention. Vous avez d’abord charmé ses yeux , et vous charmez aussi les miens; mais il vous a seulement regardée avec ceux qu’il a dans la téte, au lieu i que je vous ai longtemps étudiée avec ceux que j’ai dans l’esprit; ce qui est plus sage et beaucoup plus respectueux.

Cependant ce hardi rival a pris sur ma timidité des avantages que je pretends lui disputer. Je vais sortir du silence et regagner sur lui , pied a pied , tout le terrain qu’il m’a ravi en osant parler le premier. Il a fait ses dé- elarations, et j’oserai faire les miennes. Il vous a dit ce que votre présence inspire; je vous dirai ce que j’ai mille fois pensé en votre absence, dans le sang-froid du souvenir et de la réflexion.

On dit que, prince et poëte, il compose pour vous une ode qu’il publiera dans son pays. Je suis un sage instruit par le passé, et, tandis qu’il ne vous donne que des louanges, je me permettrai de vous offrir quelques conseils. C’est un tribut que semble exiger votre modestie, et dont l'obligation m’est imposée par la dignité de ma situation et de mon age. J’appartiens presque a l’autre monde; c’est le lieu de la vérité.

Pourtant, Mademoiselle , je ne veux être aujourd’hui qu’un sage en habit de ville. Je n’ai point vos devoirs en vue, mais seulement l’urbanité. Mes conseils ne sont pas vulgaires; mais aussi vous ne l’êtes pas. En regardant votre avenir et le point que vous occupez, je parcours le recueil de maximes que j’ai reçues de l’expérience , et je choisis pour vous les offrir, au moment de votre départ, celles qui, parmi les plus rares, les plus exquises et les plus neuves, vous sont le mieux appropriées.