Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/22

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excellence, vous voyez la conséquence qui se dégage de ces prémisses: Tesprit français, admirable dans la prose, n’est pas fait pour les grandes envolées de la poésie. Il y a sans doute une part de vérité dans ce jugement, je ne dis pas le contraire. Sainte-Beuve, qui connaissait bien notre tempérament national, a pu dire que l’esprit français aime les coteaux modérés, ce qui veut dire qu’il hante peu les âpres sommets de la poésie. L’étude de nos grands poètes du XVII confirme à première vue cette impression ; Corneille et Racine sont surtout des psychologues profonds, des raisonneurs éloquents, et bien que j’eusse personnellement des réserves à faire, surtout au sujet de Racine, — et, ne l’oublions pas aussi, de La Fontaine, — je dois avouer que l’ensemble , de ces œuvres semble directement inspiré par le précepte de Boileau:


« Aimez donc la raison, et que tous vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix. »


En somme, aux yeux de la plupart de ceux qui, hors de France, s’intéressent à la littérature française, notre poésie est surtout représentée au XVIIe siècle par Boileau, au xviiie par Voltaire. Est-il donc étonnant, Messieurs, que vos compatriotes qui ont un commerce journalier avec Goethe, Shakespeare, Byron, et toute cette illustre pléiade de poètes anglais et allemands, chez qui la fantaisie la plus ailée s’allie au sentiment le plus profond de la nature, est-il étonnant que vos compatriotes soient déçus, lorsqu’ils comparent à ces grands poètes nos versificateurs décolorés, qui mettent en bons vers, je le veux bien, des idées solides mais sans éclat, ou des traits d’esprit agréables, mais sans valeur poétique ?

Eh bien ! c’est ce jugement. Messieurs, que je voudrais essayer de réformer. Je voudrais vous montrer et vous montrer par des exemples, que nos poètes sont capables, eux aussi, de fantaisie, d’émotion, d’images hardies, qu’ils sont emportés, à