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Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/45

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sisterai pas sur cette puissance de la mémoire Imaginative, qu*ont remarquée tous ceux qui ont lu les Lettres ou les Choses vues de V. Hugo. Souvenez-vous en particulier de la description prodigieuse qu’il fait de la chute du Rhin, et de rincendie dont il a été témoin par hasard dans son voyage à travers la Suisse.

Il se représente, il évoque les images visuelles, même quand elles ne lui sont pas fournies par la mémoire, avec une netteté de contours, une précision de formes, une intensité de relief extraordinaires. Voyez le début des Pauvres Gensi

«Il est nuit La cabane est pauvre, mais bien close ...»

N’est-ce pas une eau-forte admirable? Et un peu plus loin, quand le poète parle du pauvre marin, englouti par la tempête,

« Horreur ! l’homme dont l’onde éteint le hurlement,
Sent fondre et s’enfoncer le bâtiment qui plonge ;
Il sent s’ouvrir sous lui l’ombre et l’abîme, et songe… »

À quoi songe-t-il le pauvre marin? il songe au salut, sans doute, mais le salut est une idée abstraite, et ce n’est pas sous cette forme que le salut lui apparaît ; il songe au port, au quai où il s’amarre, mais c’est là encore une image trop vague. Écoutez le poète:

« Il sent s’ouvrir sous lui l’ombre et l’abîme, et songe
Au vieil anneau de fer du quai plein de soleil. »

Nous pourrions citer encore des milliers d’exemples. Souvenez-vous, entr’autres, de la description de l’Armada en marche.

« Et Philippe se penche. Et qu’importe l’espace ?
Non-seulement il voit, mais il entend. On passe.
On court, on va. Voici le cri des porte-voix,
Les pas des matelots courant sur les pavois…