Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/31

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fera perdre la tête. M. Brongniart m’assassine. Je néglige tout pour lui et encore il trouve que je n’avance pas assez. J’ai voulu travailler pour vous à la dérobée, mais j’ai vu trop tard que ce moyen ne m’est pas favorable. Enfin j’ai regret de l’avouer, il faut que j’abandonne ce travail que vous m’aviez si gracieusement proposé, et qui, dans toute autre circonstance, m’eût fait à coup sur le plus grand plaisir. Je suis surtout désolé de vous avoir fait attendre si longtemps pour rien. Excusez-moi, mon cher ami une autre fois je calculerai mieux les chances de réussite.

Le « diable de Vase » dont parle l’artiste était destiné à la manufacture de Sèvres que dirigeait alors le chimiste Alexandre Brongniart.

La lettre qu’on vient de lire et que nous avons empruntée à la collection de Gigoux, porte la date du 29 décembre 1831.

Victor Escousse habitait comme Gigoux au n° 70 de la rue de Bondy, lors de la catastrophe du 25 février 1832. On connaît l’histoire de l’infortuné. Il avait fait jouer avec éclat sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin un drame en trois actes, Faruck le Maure[1]. La première représentation eut lieu le 25 juin 1831. L’auteur n’avait pas dix-huit ans. À six mois de date, il donnait au Théâtre-Français une tragédie Pierre III, froidement accueillie par le public[2]. C’est alors qu’il s’associe Auguste Lebras, et en quelques semaines tous deux composent un drame, Raymond, qui est joué sans succès le 24 février 1832. Le lendemain, Escousse, désespéré, fait tenir ces lignes à Lebras : « Je t’attends à onze heures et demie, le rideau sera levé, je t’attends afin que nous précipitions le dénouement. » Lebras est exact au rendez-vous, et tous deux meurent asphyxiés dans la nuit.

Musset, qui méditait Rolla, au moment du double suicide de la rue de Bondy, ne s’était pas soustrait à l’impression générale causée par cette mort : On connaît les trois vers par lesquels se termine la fameuse apostrophe : « Dors-tu content, Voltaire ? » Ils renferment l’aveu terrible du scepticisme de l’époque :

  1. Pourquoi l’éditeur de 1885 a-t-il écrit « Férouk le Maure » ?
  2. Victor Escousse, dans une lettre datée du 2 décembre 1831, et adressée à René Perin, prie son correspondant de ne pas le décourager en critiquant trop sévèrement son ouvrage (Pierre III), et il ajoute « Si vous convenez comme les autres journaux que mes défauts sont de mon âge, laissez-moi grandir, et je me dépouillerai de mes défauts. » (Cette lettre qui faisait partie de la collection du chevalier de R… a passé en vente le 30 novembre 1863.)