Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/30

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fines et rieuses. On eût dit des Lutins du sculpteur qu’ils étaient les réprouvés du ciel idéal de Prud’hon. Moine, pour son début, avait en outre exposé deux cadres de médaillons que David d’Angers n’eût pas désavoués. « Deux têtes de femmes, écrivit à ce propos Gustave Planche, détachées du fond, ronde bosse, se colorent harmonieusement un grand médaillon de femme, vue de face, reproduit avec bonheur le type de la Giocunda de Léonard. Avant de le voir, je n’aurais pu croire qu’il fût possible de trouver dans la glaise ces yeux voilés et souriants, ces fossettes si jeunes et si enfantines, ce front pudique et timide, que M. Moine nous a donnés. Je ne sais pas si jamais la sculpture a lutté de plus près avec la peinture. Nous pouvons affirmer, au moins d’après deux exemples, que l’auteur a tout ce qu’il faut pour faire d’admirables bustes de femmes. Il possède tous les éléments nécessaires pour traduire fidèlement et sans pauvreté les moindres accidents qui se rencontrent dans une tête ; il entre à merveille dans l’esprit d’une physionomie ; or, le plus souvent la beauté d’une femme s’évanouit sous l’ébauchoir du sculpteur. Certes l’éloge est enviable. Bien peu d’artistes ont eu la joie d’entendre ainsi juger leur premier essai. Des débutants de la taille d’Antonin Moine pourraient être salués du titre d’hommes supérieurs. Hélas ! combien la gloire est chose vaine ! Le statuaire avant de pétrir l’argile avait tenu le pinceau. On se souvenait d’avoir applaudi à des paysages signés de lui, exposés au Musée Colbert. Inutiles acclamations.Antonin Moine vivait dans le dénuement. Les commandes qu’il recevait comme peintre, pastelliste ou sculpteur étaient rares. La lutte inégale dans laquelle il devait succomber dix-huit ans plus tard avait commencé pour lui. Ses amis s’étaient émus de ce duel lent et douloureux d’un vaillant homme aux prises avec les difficultés de la vie, et Gigoux, l’un des premiers, avait essayé de venir en aide à l’artiste. Chargé de la décoration d’un hôtel, Gigoux s’était généreusement désintéressé d’un plafond au profit de son ami malheureux. L’intention louable de Gigoux ne réussit pas pleinement. On en jugera par cette lettre inédite d’Antonin Moine.

Je ne sais, mon cher Gigoux, comment vous arranger cela. Votre tableau n’est pas fait, et cependant vous devriez l’avoir depuis longtemps. La bonne volonté que j’y ai mise n’a servi à rien de bon. J’ai tout gâté pour avoir voulu aller trop vite. Mon diable de Vase me