Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/32

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Quand on est pauvre et fier, quand on est riche et triste,
On n’est plus assez fou, pour se faire trappiste,
Mais on fait comme Escousse, on allume un réchaud.


Pour être mieux frappés que les vers bien connus consacrés par Béranger à Escousse et à Lebras, ceux de Musset sont aussi plus désespérés.

Après tout, qu’y a-t-il donc de si poignant dans cette mort coupable d’un jeune fou que sa destinée avait fait célèbre dès l’adolescence ? Combien luttent sans trêve pendant de longues années et savent ne pas fléchir ? Notre âge, qui n’a pas la grandeur des temps où nous rappelle la jeunesse de Gigoux, a cependant ses compensations. Nous aussi, nous avons récemment conduit le deuil de deux jeunes hommes ensevelis le même jour dans une mort commune. Mais quelle distance entre le trépas d’Escousse et de Lebras et la fin tragique mais glorieuse de Crocé Spinelli et de Sivel ! Quand on veut mourir, on se fait tuer. La science, l’art, la patrie ne font guère moins de victimes que les batailles. Bonington, la Malibran sont morts pour l’art ; Crocé Spinelli et Sivel pour la science ; Flatters et Crevaux pour la patrie. Ceux-là n’ont pas répudié l’idéal ; ils ont vu par delà nos réalités terrestres, froides, mesquines, décevantes, et ils sont allés vers un but radieux, guidés par leur rêve comme autrefois les Mages par l’étoile d’Orient, et la brève apparition de, ces enthousiastes dans nos rangs, de ces hommes dont l’âme, l’intelligence, l’activité habitaient les sphères supérieures, εν Θεοσ, en Dieu, pendant que leurs corps étaient près de nous, le rapide séjour de ces hommes d’élite sur notre terre est un exemple.

Au cours de l’année 1832, Gigoux transporta ses pénates rue Saint-André-des-Arts. C’est là qu’il devait peindre, sur une toile de quatorze pieds, les Derniers moments de Léonard de Vinci. Ce changement de domicile fit naître chez le peintre un amour du luxe qu’il est de notre devoir de révéler. Gigoux, le croirait-on ? à peine installé dans sa mansarde de la rue Saint-André-des-Arts, fit l’acquisition d’une courte-pointe de calicot ! Indice inquiétant pour la bourse de notre artiste. Où ai-je pris ce détail ? Est-ce le peintre qui me l’a confié ? Que nenni ! Je l’ai trouvé dans une lettre tout intime de Mme Benjamin Constant, femme d’esprit et