de haute distinction, d’origine germanique. Un jour, Gigoux est en soirée chez les sculpteurs Joseph et Théophile Bra ; Mme Benjamin Constant est au nombre des invités. Notre peintre est en veine de belle humeur, — selon sa coutume, — et sans peine on lui fait raconter ses années disparues. Il parle de Besançon, de l’Allemagne, de la Suisse, de la rue de Bondy, des plages normandes et de sa coquette mansarde de la rue Saint-André-des-Arts. Or, dans son récit qu’il n’a point étudié, l’imprudent parle avec complaisance de sa courte-pointe de calicot ! De même qu’Érasistrate avait surpris dans un regard la passion d’Antiochus pour Stratonice, Mme Benjamin Constant saisit sous la parole écrite de notre peintre, lorsqu’il rappela les splendeurs naïves de son ameublement, les rêves d’opulence qui l’avaient agité. Dès le lendemain, Gigoux recevait de Mme Benjamin Constant les lignes que voici :
Après le souvenir de la soirée que je dois, Monsieur, à l’amitié des Bra, souvenir qui pour moi aura bien des lendemains, serait-ce trop présumer de vous, de vous demander de consacrer chez moi le samedi en venant avec ces mêmes amis faire un petit dîner bien simple, bien sobre, digne du temps où votre courte-pointe de calicot était du luxe pour vous ! Vous ne sauriez douter du plaisir que vous me ferez ; aussi, comme l’avare qui croit posséder déjà ce qu’il espère, j’aime à terminer ces lignes en vous remerciant d’avance de ne pas me refuser.
Quelle imprévoyance chez Gigoux de nous avoir laissé lire ce billet ! Le peintre n’y a vu sans doute que l’invitation d’une femme aimable, et voilà que nous y cherchons la trace accusatrice de prodigalités prématurées, à moins que cette histoire de courte-pointe n’ait d’autre objet sous notre plume que de faire connaître au lecteur les relations de Gigoux dans le monde d’hier.
Dès les premiers mois de son séjour à Paris, l’artiste avait fréquenté le salon de son compatriote Nodier, et Gigoux habitait encore rue de Bondy lorsqu’il manifesta le projet de faire le portrait de Marie Nodier qui lui écrit sans retard :
Si vous êtes libre de me recevoir samedi, à midi, nous irons commencer ce charmant portrait dont je suis d’avance si heureuse.
Le peintre collaborait alors au journal l’Artiste, fondé par Ricourt. Nombre de portraits lithographiés par Gigoux datent de cette époque et furent publiés dans l’Artiste. Ce que David d’Angers avait entrepris avec l’ébauchoir, le peintre l’exécutait