Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/87

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prendre de Théophile Gautier ce que la critique pensa de cet ouvrage.


Il paraît que M. Gigoux ne suit pas sur le calendrier l’ordre et la marche des saisons, car il fait venir la moisson après la vendange mais en peinture l’on peut sans inconvénient prendre les ciseaux avant la faucille, et cueillir la grappe avant de scier l’épi. Qu’importe, si la grappe a une couleur d’ambre ou de rubis, si la gerbe est blonde et ressemble à de l’or ? La Moisson fait pendant à la Vendange exposée au dernier ou l’avant-dernier Salon. L’artiste, dont les peintures, destinées à orner un monument, ont les dimensions de l’histoire, a transporté la scène aux temps antiques. C’est toujours là qu’il en faut revenir, quoi qu’on dise ou « quoi qu’on dise », lorsqu’on veut avoir des nus, des draperies, de nobles formes et d’heureux arrangements. Les Grecs ont fait le plus beau rêve de la vie, et depuis bien des siècles nous retournons leur songe. M. Gigoux, qui n’est point un classique forcené, que nous sachions, s’est bien gardé de faire couper ses blés par des paysans ou des paysannes modernes il a mieux aimé employer de belles filles et de beaux jeunes gens vêtus de courtes tuniques, ou même pas vêtus du tout il a pu montrer ainsi qu’il savait peindre un torse, ce qui est plus difficile que de peindre un gilet. La Moisson est une toile d’une couleur blonde et riche, maintenue dans une gamme de fresque qui fera sur la muraille une heureuse opposition aux tons safranés et vineux de la Vendange.


Delacroix ne se montra pas moins enthousiaste que Gautier. Certaines figures de la composition lui paraissaient merveilleuses. Il prononçait le nom de Puget devant plusieurs groupes de cette peinture vigoureuse et chatiée.

Quel avait été le modèle du portrait dessiné que Gigoux exposa en 1855 ? Je ne suppose pas que ce soit Mme Valentine de Lamartine. Cependant, notre peintre ayant tracé de la nièce du poète un profil très fin, très vivant, en 1855, il se peut que ce crayon ait été placé par lui sous le regard du public. Une lettre de Saint-Point, datée du 7 octobre 1855, donne la mesure de la satisfaction du poète de Jocelyn, lorsqu’il reçut de Gigoux le précieux portrait. Cette lettre ne contient-elle qu’un remerciement ? Son importance est autre. Lamartine y expose sa doctrine sur la musique chantée. Mme Ristori a eu l’imprudence de vouloir interpréter une composition du poète, mise en musique, et Mme Ristori n’a pas été sans regretter sa tentative. Lamartine qui, déjà, dans le commentaire du Lac, s’est expliqué sur la difficulté d’allier la musique à la poésie, reprend sa thèse et la résume en quelques phrases que l’on voudra retenir « On ne peut noter que des soupirs » Ainsi pense Lamartine et peut-être n’a-t-il pas tort.