Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/9

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Vous êtes nés avec l’aurore,
Partout une clarté vous suit.
— Notre horizon ne se colore
Que des feux follets de la nuit.

On parle de votre jeunesse,
Riche d’espoirs et de vertu.
— Au Veau d’or va notre caresse,
Pour lui seul nos cœurs ont battu.

Les Muses, par vous applaudies,
Déesses des temps fabuleux,
Loin de nos sphères refroidies,
Fuient comme des oiseaux frileux.

Qui viendra rompre l’atonie
D’une existence sans printemps ?
Maître, gardez votre génie
Et n’enviez pas nos trente ans.

Ce n’est qu’une sève épuisée
Qui monte à nos cerveaux éteints.
— Où sont dans notre France usée
Les grands cœurs sous les fronts hautains ?

Si Dieu veut qu’une Renaissance
Se lève sur notre pays,
Si des souffles d’adolescence
Cherchent encor nos fronts vieillis,

O Maître, c’est à votre école,
C’est quand vous parlez du passé,
Que sous votre ardente parole
Le présent peut être effacé.

Ouvrez vos bras aux jeunes groupes,
Montrez-leur de grands avenirs,
Et mêlez au bruit de leurs coupes
La leçon de vos souvenirs.

Aux âmes rendez quelque sève,
Vous, l’artiste aux mâles fiertés,
Sans crainte, opposez votre rêve
A nos froides réalités.

Dites-nous, dites-nous, ô Maître,
Comment on triomphe du temps,
Comment on peut être un ancêtre
Et garder un cœur de vingt ans.

Amant des nobles effigies,
A nous qui n’avons plus d’autels,
Rendez les hautes énergies
Qui font les hommes immortels.