Page:Jourdain - Logique de Port-Royal, 1861.djvu/269

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TROISIÈME PARTIE .

Nulle matière ne pense :

Toute âme de bête est matière :

Donc nulle âme de bête ne pense .

CHAPITRE XIV .

Des enthymèmes , et des sentences enthymématiques. On a déjà dit que l’enthymème était un syllogisme parfait dans l’esprit, mais imparfait dans l’expression , parce qu’on y suppri mait quelqu’une des propositions comme trop claire et trop con nue, et comme étant facilement suppléée par l’esprit de ceux à qui l’on parle . Cette manière d’argument est si commune dans les discours et dans les écrits, qu’il est rare , au contraire, que l’on y exprime toutes les propositions, parce qu’il y en a d’ordinaire une assez claire pour être supposée, et que la nature de l’esprit humain est d’aimer mieux qu’on lui laisse quelque chose à sup pléer, que non pas qu’on s’imagine qu’il ait besoin d’être instruit de tout.

Ainsi cette suppression flatte la vanité de ceux à qui l’on parle , en se remettant de quelque chose à leur intelligence, et en abré geant le discours, elle le rend plus fort et plus vif. Il est certain , par exemple, que si de ce vers de la Médée (a ) d’Ovide , qui con tient un enthymème très-élégant :


Servare potui, perdere an possim rogas ?
Je t'ai pu conserver, je te pourrai donc perdre ?


on avait fait un argument en forme, en cette manière : celui qui peut conserver peut perdre : or, je t’ai pu conserver, donc je te pourrai perdre, toute la grâce en serait ôtée ; la raison en est que , comme une des principales beautés d’un discours est d’être plein desens, et de donner occasion à l’esprit de former une pensée plus étendue que n’est l’expression, c’en est, au contraire, un des plus grands défauts d’être vide de sens, et de renfermer peu de pensées, ce qui est presque inévitable dans les syllogismes philo sophiques ; car l’esprit allant plus vite que la langue, et une des (a) Cette pièce est perdue, et il n’en reste que ce vers cité par Quintilien livre VIII, chap . v, Barnes, in Euripid.